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Pour l’athéisme militant

Pour le Parti N°7NS - Septembre 1978

Au moment où nous écrivons cet article, le successeur de Paul VI n’est pas encore connu. Les cardinaux, entre deux prières, en sont encore aux manœuvres de couloirs, aux magouilles dignes de n’importe quel parlement bourgeois, aux marchandages, pour savoir qui dirigera une des premières puissances financières du monde et surtout une des organisations les plus efficaces de la bourgeoisie pour tromper les peuples et tenter d’enrayer la marche du progrès et de la révolution.

Ceci doit être l’occasion pour tous les révolutionnaires de rappeler, de se rappeler, toute l’importance de la lutte contre la religion. L’occasion de renouer avec la lutte pour l’athéisme. Alors même que les bourgeois et les révisionnistes du PCF essaient d’endormir notre vigilance de ce côté en répandant l’idée que cette lutte n’a pas d’importance, qu’il suffit de laisser les choses aller leur cours et chacun pensera ce qu’il veut, que la religion et l’esprit religieux ne gênent pas le progrès social, etc.

Il faut lutter pour l’athéisme car cette lutte fait partie de la lutte pour libérer l’homme non seulement de l’ignorance mais surtout de l’agression et de l’exploitation, de la domination de la classe bourgeoise.

Comment la religion est née et com¬ment elle est aujourd’hui entièrement au service de la bourgeoisie, c’est ce que nous montrerons dans cet article pour commencer.


Pour tout homme qui fonde son action sur l’analyse de la réalité, pour tout matérialiste qui veut transformer cette réalité, ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence. C’est, au contraire, leur existence, leur être social, qui détermine leur conscience.

Il en est ainsi de l’esprit religieux (de la conscience religieuse si l’on peut dire) qui est né, s’est développé, s’est transformé sur la base de conditions historiques particulières fixant l’existence des hommes, c’est-à-dire leurs rapports avec la nature et leurs rapports entre eux.

Ainsi, à l’origine, l’homme primitif ne pouvait pas comprendre les phénomènes de la nature, ni faire face aux calamités naturelles. Il a donc pensé que des forces surnaturelles faisaient marcher le monde, c’est ce qui explique les débuts de la religion.

La religion n’est pas née avec l’homme. Mais l’homme l’a créée progressivement. C’est progressivement que l’homme primitif a peuplé le monde d’êtres surnaturels qu’il imaginait être les maîtres, les « animateurs » terribles et secrets des forces de la nature : orage, tempête, tremblement de terre, soleil, étoiles, etc. C’est ce qu’on appelle l’animisme.

En ces temps, l’homme qui ignorait la division en classes et l’inégalité des fortunes dans la vie réelle (époque du communisme primitif) ne hiérarchisait pas non plus le monde imaginaire des esprits. La hiérarchisation des dieux date de l’époque de la désagrégation de la communauté primitive, qui était égalitaire, et de sa transformation en société de classes sur la base de l’apparition de la propriété privée.

A la hiérarchie de chefs dans l’Etat, correspond une hiérarchie dans les cieux où les saints, les anges, les dieux sont disposés suivant leur rang. On voit aussi se développer parmi les dieux, la division du travail, comme parmi les chefs de la terre. L’un devient expert en matière militaire, Mars chez les Romains ; un autre en commerce, Mercure ; un autre en agriculture, etc.

Lorsque commence un processus d’unification politique, les « dieux » des différentes tribus sont, eux aussi, amenés à s’unir. Lorsque, par exemple, se crée une monarchie centralisée, la même chose se passe au « ciel », où un seul dieu monte sur le trône, jusqu’à devenir le dieu unique.

Ainsi, ce n’est pas Dieu qui a créé l’homme. Mais l’homme qui a créé Dieu à son image. La représentation qu’il s’en fait est très concrète. Les dieux sont barbus, chevelus, mangent, boivent, font la cour aux femmes, même sous la forme d’une colombe comme le fit plus tard le soi-disant « Saint-Esprit ». En Grèce où se pratiquait beaucoup l’homosexualité, Zeus ayant pris l’aspect d’un aigle, fait l’amour avec un jeune garçon nommé Ganymède...

Mais la religion ne s’explique pas seulement par l’incompréhension que l’homme a de la nature. Avec le développement de la propriété privée, la communauté primitive se désagrège, la société se divise en classes. Avec cette naissance et ce développement d’une société de classes, les hommes se heurtaient à de nouvelles puissances dominant leur existence quotidienne tous les malheurs dus à l’exploitation et à l’oppression quotidienne de classe. Ils n’avaient pas encore les moyens de comprendre les mécanismes de cette société de classe. Et donc, ils ne pouvaient ni l’expliquer, ni trouver une voie pour échapper à ces malheurs. C’est pourquoi ils les attribuaient à la « fatalité », et cherchaient secours auprès des dieux exprimant leurs désirs et espoirs par l’intermédiaire de la religion (et se servant même parfois de la religion pour organiser et développer leurs propres luttes).
Engels a dit justement : « toute religion n’est que le reflet fantastique, dans le cerveau des hommes, des puissances extérieures qui dominent leur existence quotidienne, reflet dans lequel les puissances terrestres prennent la forme de puissances supra-terrestres ».

Mais toutes les classes exploiteuses qui se sont succédé au cours des siècles se sont servies de la religion pour en faire une force spirituelle leur permettant de dominer et exploiter les peuples, en « justifiant » cette exploitation par le « destin », la « nature humaine », « l’ordre immuable » des choses.

C’est pourquoi dans la société de classes, la diffusion de la religion a certes une origine dans la théorie de la connaissance (rapports de l’homme à la nature) mais surtout une origine de classe. Pour supprimer l’exploitation, l’exploité doit lutter contre toutes ces idéologies qui « justifient » l’exploitation.

C’est par exemple le cas du christianisme qui est la religion dominante en France.

Le christianisme est issu des contradictions de classes de l’empire romain agonisant. Il traduisait, à l’époque, la révolte des esclaves, des masses ruinées de la paysannerie, pour une société plus égalitaire (partage des richesses).

Mais il répondait aussi aux intérêts des classes dominantes. Car tout en adressant des avertissements sévères aux riches, il exhortait à la soumission et à la recherche du salut dans « l’au-delà ».

Il instituait la notion de péché personnel et rendait ainsi les hommes responsables de leurs propres malheurs.

Enfin, en rejetant toutes les religions et les dieux nationaux, il se posait en religion universelle : ce qui favorisait l’unification de l’empire au profit de la classe au pouvoir.

Lors de l’époque féodale, toute la vie intellectuelle se trouve sous le contrôle du clergé et prend une forme religieuse. Le grand centre international du féodalisme, c’est l’église catholique romaine. Elle couronne les institutions féodales de l’auréole d’une consécration divine. Elle modèle sa propre hiérarchie sur celle de la féodalité et elle finit par devenir le seigneur féodal le plus puissant, propriétaire d’un bon tiers au moins des terres du monde catholique. Tout en gardant « l’enseigne » de la charité chrétienne, elle pratique l’inquisition la plus féroce, les croisades, les conquêtes.

A l’époque de la révolution bourgeoise, la bourgeoisie des villes, classe révolutionnaire montante, se servait aussi du masque de la religion contre les rois et les empereurs. C’est ainsi que se développa le protestantisme de Luther (Allemagne) et Calvin (France). Ce dernier mit au premier plan le caractère bourgeois de la Réforme, républicanisa et démocratisa l’église. La Réforme calviniste servit de porte-drapeau aux républicains à Genève, en Hollande, en Ecosse (17ème siècle). La bourgeoisie mobilisa tous les mécontents de son côté pour prendre finalement le pouvoir pour elle seule.

En France, la révolution française fut le premier soulèvement bourgeois qui rejeta le déguisement religieux et livra toutes ses batailles sur le plan ouvertement politique. Mais par la suite, la bourgeoisie rejeta son matérialisme de jeunesse, ayant compris tout l’intérêt qu’elle pouvait trouver dans la religion. Elle fait maigre le vendredi, parle avec respect de l’Eglise, pensant en elle-même devant les dangers qui la guettent et le prolétariat montant : « il faut une religion pour le peuple ».

Le développement de la société capitaliste

Dans la société capitaliste subsiste la relation de domination-soumission.

L’homme est toujours dominé par la production au lieu de la dominer. Mais ce qui gouverne cette production, c’est le marché, la loi du profit. Le travail devient parcellisé et abstrait. Le produit du travail prend généralement la forme de marchandise, il n’est plus destiné à être consommé mais vendu. L’ouvrier est totalement dépossédé du contrôle de son travail, de la création. Il vend sa force de travail. Et le capitaliste qui l’exploite est une société anonyme avec laquelle il a les rapports anonymes qu’implique l’échange de cette forme de travail contre un salaire (alors que le seigneur s’appropriait le travail du serf en se faisant payer en nature).

Le christianisme s’adapta à ce changement. Il devint de plus en plus une religion où les dieux (Dieu) perdent toute personnalité. La religion de l’homme abstrait. Le développement de l’échange arracha aux dieux leurs barbes, leurs moustaches, leurs corps (c’est ainsi que les saints catholiques, très personnalisés au moyen-âge, disparaissent aujourd’hui). Dieu se transforme en pur esprit.

Cette abstraction convient très bien au capitalisme pour tenter de masquer les différences sociales, les classes. La religion ne connaît pas d’hommes divisés en classes, mais uniquement des « prochains » qu’il faut « aimer comme soi-même ». A cette abstraction correspondent les notions « d’homme de la rue », de « liberté, fraternité, égalité » de la bourgeoisie.

A l’époque de l’impérialisme, la religion est devenue pour la bourgeoisie monopoliste non seulement un instrument d’asservissement du peuple de son propre pays, mais aussi le moyen d’étendre la colonisation. Les « missionnaires » servaient de fer de lance au colonialisme, de prétexte à interventions. Ils prêchaient aussi la soumission pour étouffer la révolte des peuples.

Ainsi la bourgeoisie, par la religion, a toujours propagé et propage encore la superstition, la docilité, l’acceptation de l’exploitation fixée par le « destin », la « nature ». C’est en empoisonnant ainsi le peuple que la religion aide les classes au pouvoir à renforcer leur domination réactionnaire.

L’attitude de l’Eglise tout au long de l’histoire est entièrement remplie d’exemples vivants montrant quelle classe elle sert en réalité. Elle soutint à fond les Versaillais et le sinistre Thiers dans la répression de la Commune de Paris en 1871. En 14-18, côté allemand comme côté français, elle poussait et exhortait les masses à aller à la boucherie impérialiste. En 39-45, le pape Pie XII bénissait de son « infaillibilité » les armées fascistes partant, selon lui, pour « la grande croisade européenne contre le communisme ». Tandis que les chefs catholiques de France, les cardinaux Gerlier et Baudrillard étaient de farouches partisans du régime fasciste de Pétain. « Gott mit uns » (Dieu avec nous) la religion est de toutes les guerres ! Jusqu’au cardinal Spelman appuyant l’agression américaine au Vietnam. On n’en finirait pas de rappeler tous les exemples.

« La religion est l’opium du peuple » disait Marx. L’opium c’est la drogue pour s’évader de la réalité, s’endormir dans les rêves de l’imaginaire. "Religo" en latin voulait dire relier. La religion veut relier l’homme isolé et individu à Dieu. C’est-à-dire faire de l’homme un individu abstrait qui, par nature, aurait des caractéristiques éternelles. Un individu abstrait relié à Dieu et dépendant de cet être imaginaire. Mais bien au contraire l’homme est en fait le produit d’un monde bien réel. Il est modelé par ce monde et le modèle. Il est dans les faits relié à ce monde et à tous ceux qui l’habitent. C’est pourquoi Marx disait aussi s « L’être humain n’est pas une abstraction inhérente à l’individu isolé. Dans sa réalité, c’est l’ensemble des rapports sociaux », c’est-à-dire, dans une société de classes, des rapports de classes.

Aujourd’hui, cette réalité s’impose de plus en plus. Le développement des forces productives, causé par le capitalisme, a libéré en partie l’homme de la domination de la nature. Ce développement, le développement des sciences et des techniques particulièrement, s’est accompagné inéluctablement du développement du matérialisme. L’emprise de la religion sur la société est plus faible. La lutte de classe a éclairé le prolétariat. Dans le cours de ces luttes, en effet, le prolétariat s’est toujours mieux rendu compte de la nature de classe de la religion.

La religion n’est nullement un phénomène éternel. Elle est née à une certaine époque et disparaîtra quand les classes exploiteuses seront définitivement éliminées. Mais on ne saurait attendre cette disparition les bras croisés. La lutte pour l’athéisme est toujours d’actualité. Il faut lutter pour élever la conscience du prolétariat et du peuple à ce sujet. Il faut lutter contre ceux qui utilisent la superstition religieuse pour saboter la révolution socialiste. Afin que triomphe le chant : « Il n’est pas de sauveur suprême, ni dieu, ni César, ni tribun ; producteurs sauvons-nous nous- mêmes, décrétons le salut commun ».

Car la religion fait des efforts désespérés pour s’adapter au développement de la lutte des classes.

Efforts dérisoires et pitoyables parfois comme lorsqu’en 1870 fut décrétée par 451 voix sur 601 « l’infaillibilité » du « Saint-Père ». Il s’agissait par là d’une tentative pour renforcer l’autorité de l’Eglise, en abusant de la crédulité des populations les plus arriérées. Ceci afin de répondre aux mouvements révolutionnaires qui se développaient alors dans toute l’Europe (révolutions de 1830, 48 et 71 en France, Garibaldi en Italie, etc.) et qui s’accompagnaient d’une puissante montée de l’athéisme. C’est d’ailleurs à cette même époque que furent montées de toute pièce par l’église catholique, les honteuses mystifications des « visions » de Lourdes et, plus tard, de Fatima du Portugal (ici pour lutter contre la première République Portugaise, laïque).

Aujourd’hui l’Eglise ne peut plus seulement s’appuyer sur l’obscurantisme. De même la splendeur et le « mystère » des rites anciens, tout le spectacle des cérémonies « sacrées » ne suffisent plus à en imposer au peuple. Seul un petit courant ouvertement lié aux fascistes (courant de l’évêque Lefèvre) défend encore ces formes de mystification. L’église a été obligée de s’adapter au développement du mouvement ouvrier pour tenter de survivre. Elle a dû créer des associations ouvrières, comme la Jeunesse Ouvrière Catholique, comme le syndicat chrétien CFTC devenu plus tard la CFDT. Elle a dû créer aussi des « prêtres ouvriers » et toute une gamme de mouvements « sociaux ». Tout cela est le reflet de la vigueur de la lutte de la classe ouvrière. Et l’Eglise d’aujourd’hui se trouve en fait de plus en plus déchirée et divisée entre des courants qui s’affrontent ouvertement sur la meilleure façon de maintenir la religion dans le peuple. Les « traditionnalistes » très proches des fascistes, les « progressistes » proches des réformistes et révisionnistes.

Sans se débarrasser de la religion, sans mener la lutte de classe jusqu’à la victoire totale de l’athéisme, il n’y aura pas de victoire solide du prolétariat.

Cette lutte pour l’athéisme a été complètement abandonnée par les révisionnistes du PCF. Ils professent l’agnosticisme (chacun peut croire ce qu’il veut, on ne sait pas si Dieu existe ou pas...). Marchais parle de concilier "christianisme et socialisme". L’Humanité (17.8.78) écrit : « Quels partis professent l’athéisme ? En tous cas pas le PCF qui vise à réaliser l’union la plus large entre les Français ».

Les chefs religieux, eux, ne s’y trompent pas et affirment toujours que leur objectif est de vaincre « le matérialisme athée ». Ils sont à l’affût de toute faille dans le camp du prolétariat. C’est ainsi que le cardinal Marty, prenant acte de l’arrivée au pouvoir de nouveaux bourgeois en Chine, déclare que « la priorité missionnaire, c’est la Chine ». Tandis que depuis longtemps des efforts considérables sont faits pour redévelopper la religion à « l’Est ».

Même lorsqu’ils se retrouvent dans la lutte au coude à coude avec des camarades croyants (catholiques, musulmans, etc.), ce qui est naturellement fréquent, les communistes ne doivent pas abandonner la lutte pour l’athéisme, pour la libération de l’homme, au nom de l’union. Ils doivent mener toujours cette lutte idéologique. L’élection du pape, comme le récent Ramadan, sont de bonnes occasions pour cela.

Pour se libérer, et libérer avec lui l’humanité toute entière, le prolétariat doit assimiler sa propre conception du monde, le matérialisme historique et dialectique. Combattre la religion et tous les idéalistes qui pensent que l’homme ne peut pas comprendre le monde, le transformer et, ainsi, se transformer.

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