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Tunisie, Égypte, pays arabes, la lutte des classes va de l’avant !

La vague de protestation populaire partie de Tunisie touche la plupart des pays arabes : l’Egypte, la Jordanie, le Yemen, l’Oman, et le Soudan. La peur change de camp. Les peuples bousculent l’ordre impérialiste. En faisant tomber les régimes corrompus, alliés des impérialistes, les peuples, la jeunesse, les travailleurs disent à la face du monde que les exploités unis peuvent changer le cours de l’histoire ! Et faire que l’impossible d’hier ou d’aujourd’hui soit possible demain.

Nous nous réjouissons de ces succès et de ces combats qui sont les nôtres, car ce qui affaiblit l’impérialisme est un encouragement pour tous les exploités. Ce combat est le nôtre, car nous subissions tous un ordre capitaliste insupportable auquel nous devons, tous ensemble, mettre fin.
La détermination des peuples et des travailleurs arabes est un exemple, un encouragement pour ceux qui, ici, se sentent abattus après la défaite dans la lutte contre le reforme des retraites, et pour ceux qui se sentent impuissants à contrer les attaques de la bourgeoisie.

Nous partageons avec les travailleurs arabes une fraternité de combat ouvrière et internationaliste.

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Portés par l’enthousiasme, nous ne devons pas oublier que si le courage et la détermination des exploités sont indispensables, ils ne suffisent pas à garantir l’avenir et à faire que les combats victorieux et les aspirations qu’ils portent ne soient pas trahis.

A la fin de la semaine dernière, en Tunisie, sous la pression populaire, le gouvernement intérimaire a exclu de ses rangs les ministres RCD, sauf celui qui le dirige, Ghannouchi. Cet aménagement ne satisfait pas les jeunes et les exploités des régions qui ont engagé la lutte. Mais il amorce une division dans le mouvement qui a mis à terre Ben Ali.

Ce gouvernement a reçu l’agrément de la direction de l’UGTT. Il satisfait les capitalistes, les gros commerçants, les hôteliers, les couches supérieures de la petite bourgeoise qui veulent un retour rapide à l’ordre et que leurs affaires reprennent au plus vite. Ces couches organisent des manifestations dénonçant l’anarchie.

Avec leur appui, le gouvernement s’emploie maintenant à rétablir l’ordre. La police a fait évacuer vendredi les manifestants qui campaient devant les bureaux du Premier ministre au centre de Tunis, sur la place de la Kasbah. Les unités anti-émeutes ont tiré des grenades lacrymogènes contre les manifestants rassemblés sous les fenêtres du bureau de Mohammed Ghannouchi. Il y a eu un mort, de nombreux blessés et 19 manifestants ont été arrêtés.

Démocratique, la Tunisie reste une économie dépendante du bon vouloir des investisseurs nationaux et impérialistes. Les chômeurs, les exploités, les jeunes diplômés sans emploi, ne trouveront pas leur compte dans ce retour à l’ordre qui ne s’attaque pas à la racine des problèmes sociaux. Mais pour faire valoir leurs intérêts de classe contre ceux de la bourgeoise, les exploités n’ont aujourd’hui aucune organisation, aucun parti qui puisse les faire triompher et les organiser dans la voie du renversement du capitalisme.
Conscients de ce vide, des organisations de gauche et des nationalistes anti-impérialistes se sont réunis dans la « plateforme du 14 janvier », pour défendre les acquis démocratiques de cette révolution. Cela est positif, mais reste en deçà de ce qui est nécessaire pour porter la lutte de classe à un niveau supérieur.

Quoi qu’il en soit, quelque chose s’est mis en marche en Tunisie. Le peuple s’est affirmé, a pris conscience de sa force. Sa lutte ne fait que commencer !

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C’est maintenant le peuple égyptien qui défie le régime Moubarak en bien des points semblable à celui de Ben Ali. Ce peuple fait preuve d’une aussi grande détermination que son frère tunisien. Il a déjà payé un prix lourd avec plus de 100 tués dans la répression des manifestations. Mais les conditions de la lutte en Egypte sont bien plus difficiles qu’en Tunisie.
Ce régime est un allié essentiel des Etats-Unis et d’Israël, une pièce déterminante de l’ordre impérialiste dans la région. Si l’armée égyptienne n’a jamais tiré contre son peuple, elle reste l’ossature de l’Etat et du régime. Elle est très liée aux USA qui lui fournissent l’essentiel de son équipement. Face à cela leur peuple est moins organisé.
Depuis plusieurs années, l’Egypte est secouée par des vagues de luttes ouvrières, dans le textile, les briqueteries, l’industrie automobile. Mais les travailleurs ne peuvent pas compter comme en Tunisie sur un syndicat tel que UGTT, lié au pourvoir par sa tête, mais conservant une certaine autonomie à la base. L’Union des travailleurs égyptiens, syndicat officiel, est entièrement aux mains du pouvoir, a tel point qu’une des revendications ouvrières de ces dernières années était sa dissolution.

Enfin les forces d’opposition de gauche sont encore plus faibles qu’en Tunisie. La branche égyptienne du SWP anglais (trotskiste) prône l’alliance avec les frères musulmans, la principale opposition organisée au régime. Les forces d’opposition marxistes et démocratiques sont atomisées.
Les USA sont prêts à sacrifier Moubarak, pour sauver l’essentiel, en mettant à sa place un homme sûr, comme par exemple ElBaradei. Par la bouche d’Hillary Clinton, ils ont dit vouloir une transition en Egypte, transition qui devra assurer la stabilité de ses positions dans la région. Cela leur sera difficile. Il leur faut à la fois répondre à l’aspiration à plus de démocratie, organiser des élections, en évitant que les Frères musulmans ne prennent trop de place. Dans ce dispositif l’armée va jouer un rôle d’autant plus déterminant qu’elle bénéficie à la base d’une sympathie populaire.

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L’enthousiasme, l’admiration que suscite la lutte des peuples arabes ne doivent pas nous faire oublier que si la détermination est nécessaire, elle n’est pas suffisante pour faire déboucher le combat sur un changement radical. La situation dans les pays arabes, mais aussi chez nous, montre ce qui manque et empêche qu’une crise sociale ou révolutionnaire ne débouche sur un véritable changement social et politique pour les exploités.

Il manque d’abord un Parti capable, dans une telle situation, de disputer le pouvoir à la bourgeoisie et à le lui arracher. Ce parti doit regrouper les ouvriers et les éléments du peuple, les plus conscients. Ce parti révolutionnaire doit se donner pour but le communisme, c’est à dire la liquidation de toute forme d’exploitation et d’oppression.

Ce Parti seul assure l’indépendance des exploités dans la lutte. Dans le combat démocratique se retrouvent aussi bien des exploités que des petits bourgeois, voire de bourgeois, comme on le voit en Tunisie. Cette alliance permet de faire tomber un dictateur. Mais une fois acquise la démocratisation du régime politique, elle se défait. Bourgeois et petits bourgeois se retrouvent dans une démocratie qui leur assure plus de liberté, en particulier celle de faire des affaires sur le dos des travailleurs. Mais les exploités, ceux qui subissent le chômage, le travail exténuant et vivent dans la précarité, ne peuvent se satisfaire de réformes démocratiques. Pas plus en Tunisie qu’en France la démocratie bourgeoise n’est autre chose que la domination d’une classe sur une autre.

En Tunisie, comme en Egypte, craignant sans doute devoir les soldats refuser de tirer, l’armée s’est bien gardée d’affronter directement le peuple. Mais elle n’est pas passée, même partiellement, du côté du peuple, comme cela avait été le cas en 1974 au Portugal ou plus anciennement en 1917 en Russie. L’armée reste le recours ultime dans le maintien de l’ordre bourgeois, contre les peuples révoltés. En Mai 1968, pendant les grèves, De Gaulle avait rencontré Massu en Allemagne pour s’assurer du soutien de l’armée.

Quand les peuples se mettent en mouvement, ils apprennent vite. Plus en quelques semaines que pendant des années de silence et de résignation. Ils vont être volés de leur révolution. Ceux qui tireront les marrons du feu vont les appeler à accepter leur servitude. Mais quelque chose s’est mis en marche. L’ordre bourgeois et impérialiste qui prévaut dans les pays arabes va être bousculé et de moins en moins supporté. La lutte des classes rentre dans une phase nouvelle dans cette région du monde. Elle va passer de la lutte contre les autocrates et pour la démocratie, à celle contre le capitalisme et pour le socialisme.

Pour ne pas en être spectateurs, pour faire vivre la fraternité des peuples et des exploités dans leur lutte pour la libération sociale et le communisme, organisons-nous !

Gilles Fabre

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