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Rencontre- interview avec le Parti du Travail Patriotique et Démocratique

Partisan N°249 - été 2011

Rencontre avec trois porte-parole du parti, le 9 mars 2011 à Tunis

1) Nous sommes membres du Parti du Travail Patriotique et Démocratique
On a décidé en 2005 de demander la légalisation du parti. Le dossier a traîné plus de 5 ans et demi, c’est-à-dire jusqu’à la révolution et la fuite de Ben Ali le 14 janvier. On a obtenu la légalisation le 19 janvier 2011, c’est-à-dire cinq jours après.
Pendant ces cinq à six ans, nous avons été soumis à des pressions, répressions en tout genre. La police politique venait devant les maisons des camarades pour interdire nos réunions. Ils ont fabriqué de toute pièces une affaire de fisc contre l’un de nous, Mohamed Jnour, pour le mettre à genou.
Nous avons quand même pu travailler, avec des coalitions, par exemple avec Tejdiz l’ancien parti communiste tunisien, le parti socialiste de gauche...
Nous avons participé à une élection législative (au niveau des gouvernorats c’est à dire des préfectures), et en soutenant Mohamed Ibrahim contre Ben Ali à la présidentielle. La moitié des listes a été invalidée (13 sur 26), surtout dans les grandes circonscriptions comme Tunis, Sfax, Bizerte... Sur les 13 listes présentées, on en a dirigé 3 : Nabeul, Kebili et Ben Arrous. On a mené de très bonnes campagnes, dont Ben Arrous, on sait que beaucoup de gens ont voté pour nous... on a obtenu moins de 1% !!! (rires de tous).

2) Que vivez-vous avec le départ de Ben Ali ?
Le départ Ben Ali c’est déjà ce large mouvement. Cette révolution a visé la fraction la plus dure, la plus réactionnaire du système tunisien, pas tout le système. La fraction coalition entre compradores, grands propriétaires fonciers et bureaucratie (policière, administrative, banques, entreprises publiques etc.). Toute une couche sociale sur laquelle le système s’appuyait.
C’est aussi déjà des réalisations importantes : dissolution de la police politique (des 50, 60 dernières années, issue du protectorat français). Et ce matin la dissolution du RCD, le parti de Ben Ali.
C’est l’obtention d’une assemblée constituante (pour le 24 juillet prochain)et surtout pas directement d’une élection présidentielle qui était demandée par certains sur la base de l’actuelle constitution.
Aussi la dissolution de l’assemblée, du sénat, du conseil constitutionnel. La chute de ministres, directeurs, préfets, personnels connus pour être du système.
Et déjà la reconnaissance des partis politiques et d’associations non gouvernementales... et même du droit des jeunes à manifester, du droit de réunion, de la représentation des jeunes et des masses populaires qui ont participé activement à la « commission supérieure pour la sauvegarde de la révolution et des instances démocratiques ». Toutes ces instances, ligues, comités populaires créés.
C’est l’éclosion d’un grand mouvement social, des grèves, des occupations dans beaucoup d’entreprises. Un immense mouvement de syndicalisation du peuple. Des dizaines de milliers d’adhésions d’ouvriers dans le secteur privé. Pour l’UGTT : dans le gouvernorat de Ben ARROUS 15000 nouveaux adhérents !! A Tunis, 20 000...

L’UGTT est le grand syndicat en Tunisie, il existe depuis peu un nouveau-né : comment caractérisez-vous ce nouveau syndicat, la CGTT ?
Pro-américaine ou pro union européenne. Ce nouveau syndicat a été constitué pour mobiliser contre l’UGTT. Il y a bien sûr des critiques justifiées qu’on peut faire à l’UGTT, à des membres de sa direction, tout n’est pas parfait. Mais c’est tout de même un syndicat qui a malgré tout mis ses locaux à disposition des manifestants, dans toutes les villes. Ce sont les restes du système de Ben Ali qui mobilisent des mercenaires, nervis etc. pour décrier l’UGTT. Car il reste encore énormément de forces qui représentent le système antérieur, partout, dans la diplomatie, dans la justice aussi. Le combat d’éradication n’est pas encore terminé. La tête du système est coupée mais il reste à faire.

Cette CGTT a été formée avec d’anciens de l’UGTT qui ont été rejetés par les militants de base… c’est dire. Rien que les 2 premiers, ils sont discrédités auprès de leurs bases, on ne voit pas trop qui ils vont réunir ! C’est possible qu’ils constituent un syndicalisme corporatiste, réformiste, de collaboration de classe. A priori coupé des masses pour le moment. Pas un danger à court terme.
L’UGTT, ne fait pas partie de la FSM (fédération Syndicale Mondiale) ex CIS.

3) Quelles transformations de la société espérez-vous aujourd’hui pour la Tunisie ?
Il y a ces nouveau partis, dont 3 ou 5 derrière lesquels se cachent les ex RCD.
Pour notre parti, le Parti du Travail Patriotique et Démocratique, un mot d’ordre depuis quelques années : l’édification d’une république démocratique et sociale. Pas seulement au niveau du multipartisme-élections-alternance au pouvoir, mais démocratique quant aux valeurs qu’elle défend, dont l’égalité entre hommes et femmes. Séparation affirmée entre politique et religion. La source de la loi ne doit pas être « divine »... Les pouvoirs exécutif, judiciaire, législatif doivent être séparés, indépendants.
Mais aussi une république à dimension sociale. Qui rompe avec la politique économique et libérale menée jusqu’à présent, qui garantit les droits sociaux fondamentaux (santé et éducation gratuites, droit au travail, développement équilibré entre les régions, revoir le système fiscal... Qui défende les intérêts de notre peuple. Nous aimerions qu’elle refuse les dictats des pays impérialistes, qu’elle défende notre industrie, notre agriculture, notre liberté à choisir notre voie de développement. Qu’elle s’attache à prendre en compte les aspirations populaire, telles qu’elles viennent de s’exprimer par exemple pendant l’occupation de la Kasba. Une république qui ne soit plus liée à l’Etat sioniste. On souhaite un soutien affiché à la cause palestinienne et un refus de la normalisation, secrète ou cachée avec l’État sioniste.
Voilà nos aspirations et objectifs.

4) Quelles structures, organisations... peuvent agir en Tunisie pour transformer les choses ?
Au delà de votre parti, quelles alliances avec d’autres forces ?

Pour le moment nous agissons dans le cadre du front du 14 janvier, qui regroupe des forces de gauche et des forces démocratiques et anti-impérialistes. Il est encore tôt pour dire ce qu’on fera aux élections, on n’en a pas encore parlé. La question va certainement se poser dans le front. Nous ne croyons pas que nous puissions réaliser de bons résultats en forces dispersées. Pour faire valoir l’intérêt du peuple, il faut s’atteler à ce que la constituante soit la plus représentative possible, comprenne des mouvances ou courants progressistes, démocratiques.
Il y a les restes du RCD qui vont se regrouper pour essayer d’être forts. Il y a d’autres courants, libéraux, islamistes, qui feront tout pour assurer leur hégémonie. Or la constituante va jouer un rôle essentiel pour l’avenir du pays. Nous n’avons pas intérêt a penser uniquement à l’apparition indépendante de notre parti.

5) Lors de la manif du samedi 22 janvier à Nantes, plusieurs prises de paroles insistaient pour dire aux occidentaux de ne pas mal juger les « islamistes » de Tunisie. Qu’ils sont plus modérés qu’ailleurs. Qu’ils ont leur place dans un processus démocratique.
Que signifie « islamiste », d’après vous ?

Les médias occidentaux traitent cette question pour faire peur aux gens : faire passer le message « mieux vaut garder la dictature ».
D’abord, les islamistes ne sont sorti qu’après la révolution, ils n’y ont pas participé. C’est plus tard, avec le retour de Rachid Ghannouchi qu’on leur donne énormément la parole, dont France 24 qui est diffusée ici en français, arabe et anglais ! Tout le monde peut donc la suivre. 3 semaines de pub gratuite pour un groupe qui n’a rien fait ! Ça nous a beaucoup énervé.
Les islamistes arrivent maintenant avec plein de moyen financiers pétrodollars, ce qui ne les empêche pas de demander des financements publics. D’un autre côté, comme courant politique actuellement, nous ne croyons pas à un courant modéré pour Ennahda. Leur mot d’ordre c’est « parlez de démocratie et dites que vous l’acceptez » mais ils n’écrivent rien. Rachid Ghannouchi a été jusqu’à dire qu’il accepte le code du statut personnel (droit des femmes). Bien sûr, il ne l’écrira pas.
Ils ont été interdits et disloqués par Ben Ali, ils sont dans la phase où ils se reconstituent. Ils montreront leurs dents ensuite.
Un article intéressant dans le journal Réalité de la semaine dernière : une interview de Hammadi Jbelli, figure montante de Ennahda. Moins âgé que Rachid Ghannouchi. Le journaliste Zied Krishen l’a poussé dans ses retranchements. Il donne alors une idée assez réelle de ce qu’est ce mouvement.
En gros : actuellement il n’y a pas de justice donc on ne peut pas appliquer la charia, mais dès que possible, « ce qui est interdit par le coran sera interdit pour la société, ce qui n’est pas interdit on le fera ». _ Clairement, il est difficile de leur dire non actuellement à cause de leur discours d’ouverture, mais ça n’est qu’une phase temporaire. On est occupés à la constituante mais le jour n’est pas loin où on va se mettre en rang de bataille contre leur courant.
Il y a aussi des groupuscules, devant la synagogue de Tunis qui portent des mots d’ordre anti-juif. On pense aussi à Tahrir. Même si leur chef a nié être à l’origine de cette manifestation.
Globalement, un intégriste est un intégriste, indépendamment de sa tactique, du visage qu’il présente à moment donné...
Ennahda n’est pas un groupuscule, ils sont organisé même si c’était ces dernières années hors de Tunisie. Quand aux salafistes, ils semblent vraiment minoritaires.

Les gens du sitting (de la Kasba) sont très sensibles au fait que Ennahda n’était pas dans la révolution. Les gens du peuple, même croyants, critiquent. Dès vendredi dans des mosquées, au moins 2 de Tunis, des intégristes ont voulu virer l’imam et prendre sa place. Ils n’ont pas été suivis, au contraire, les masses les ont exclus de la mosquée.
A la Marsa, ils ont téléphoné à l’imam, ils l’ont menacé s’il venait. En son absence, ils ont pris sa place, mais les gens ont petit à petit vidé la mosquée en entendant leur discours. On constate aujourd’hui clairement un refus du peuple musulman pour cette vision de la religion.
On doit faire très attention à ces gens là mais ils sont loin pour le moment de faire l’unanimité.

Pensez-vous que l’État doit être laïc ?
La laïcité évidemment, il la faut, nous sommes pour les droits totaux pour l’égalité entre hommes et femmes et aussi entre genres et contre toute forme de discrimination (religion, ethnie, convictions...). C’est à inscrire dans le nouveau Destour (la future constitution).

6) Quelle aide concrète peuvent apporter des militants communistes, ou au moins progressistes, en France ?
Du soutien à la révolution, et aussi à notre parti bien sûr ! Au camp laïc du moins, la gauche et quelques petits partis qu’on ne sait pas encore bien placer mais qui sont laïcs. Dans la déclaration du front du 14 janvier, on a ajouté la laïcité. C’est une motion qui est passée. C’était probablement plus une omission qu’autre chose, ... heu... mais tiens, au fait, ça n’a pas été publié ! (discussion rapide et prise de conscience de cette omission) Il y a 4 points ajoutés, 4 motions qui n’ont pas été publiées avec le reste de la déclaration. Il va falloir le rappeler à la personne qui s’en charge ! C’est notamment la séparation du politique et du sacré, l’union du Maghreb, l’égalité entre les sexes et référence au code du statut personnel...

La dénonciation des politiques européennes et américaines qui veulent profiter de la révolution comme si on l’avait faite pour eux ! Nous sommes pour des accords d’égal à égal mais contre toute ingérence, qui nous mettent en état de soumission. Angela Merkel s’était mise d’accord avec le Premier ministre sortant Mohamed Ghannouchi pour faire une conférence sur l’avenir de la Tunisie. On s’y est opposé. Un grand merci pour nous aider mais A CONDITION de rapports d’égaux à égaux.

Ici, deux mouvements importants, contre le nouvel Ambassadeur de la France. Très chahuté et encadré par l’armée pour quitter l’aéroport de Djerba.
Le « Mistral » (navire militaire français) est venu ici, on ne sait pas très bien s’il a eu l’autorisation des autorités Tunisiennes... ? Il était venu avec de « l’aide humanitaire » et devait repartir avec des réfugiés égyptiens. Notre parti refuse et s’opposera à ce que des forces étrangères viennent s’établir ici, pour quelque prétexte que ce soit même même sous couvert de l’UNATO, ce sera dénoncé et combattu si nécessaire. On risque d’appeler à les combattre pour les chasser d’ici. Surtout que ce gouvernement qui est chargé d’expédier les affaires courantes n’a aucune légitimité pour autoriser la moindre présence de forces étrangères.

Pour revenir sur le gouvernement Essebsi, on verra s’il tiendra ou pas, c’est la continuation du gouvernement précédent et du système Ben Ali, beaucoup de membres de ce gouvernement ont été avec Ben Ali, ont soutenu les politiques libérales qui ont mené à la crise aujourd’hui, ont accepté la conférence internationale sur les réformes politiques et économiques, concoctées avec la chancelière allemande...à Carthage à la fin de ce mois
Beaucoup ont cautionné la dernière répression à la kasbah, cinq morts et des dizaines de blessés. Donc ce n’est pas, tout de même, le gouvernement provisoire qu’on aurait pu souhaiter.

7) Et le reste du Maghreb, des pays arabes ou alentour ?
On a une orientation dans le sens de l’unité des pays arabes sur base démocratique, égalité, respect du droit de toutes les minorités... Pour nous, il y a une nation arabe, en cours de constitution bien sûr, mais nous ne la voyons pas comme la voyaient les années 50 : elle doit se faire d’abord dans le respect de toutes les minorités. Achever une constitution de la nation arabe.

Quid d’un rattachement à la communauté européenne ?
Pas comme l’a proposé Sarko en tout cas, et y compris alors avec la Palestine occupée, qu’ils appellent Israël.
C’est une colonie, on ne voit pas de différence entre Israël et l’Algérie française sinon dans les moyens et le soutien gigantesque...

On ne croit ni à un peuple musulman ou bouddhiste ou chrétien ou quoi que ce soit. La religion n’est qu’une étape transitoire dans l’histoire d’un peuple. Ce n’est pas la religion qui définit un peuple.

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