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Les Sans-Papiers : des travailleurs sous pression permanente
Partisan N°253 - Février 2012
Le 15 juin 2011, le collectif des Travailleurs Sans Papiers de Vitry occupait le bâtiment de l’Inspection du Travail de Créteil pour établir un rapport de force avec la Préfecture qui ne donnait pas suite aux dossiers déposés. Le Collectif avait choisi le lieu aussi pour interpeller l’administration sur les conditions de travail des sans-papiers. Ce même jour, les salariés du ministère du Travail tenaient une Assemblée Générale afin de voter la grève. Eux aussi étaient en lutte sur leurs conditions de travail. L’AG a été en partie commune (1). Des liens se sont noués avec des militants qui ont trouvé l’action du Collectif « juste et pertinente. De plus, cette action répond en miroir à un problème que nous vivons dans nos services. On est de part et d’autre d’un guichet qui nous pose problème... »
Une occupation qui a des suites
Suite à cette action, le collectif a organisé en décembre, à Vitry, une rencontre avec les syndicalistes CGT et SUD de l’inspection du travail de Créteil. Une série de témoignages vont montrer les conditions de travail des sans-papiers.
Le retour de la figure du travailleur immigré
Gérard, du Comité de Soutien, a fait un bref historique sur l’histoire de l’immigration. Au XIXe siècle et début du XXe, ce sont les grandes entreprises (mines, bâtiment puis automobile...) qui s’organisent pour aller chercher la main-d’œuvre étrangère dont il ont besoin. Puis après la seconde guerre mondiale, c’est l’État qui va organiser et légiférer (2). Alain, syndicaliste de l’inspection du travail, note que « lors du passage de la gauche, la question du travail liée à l’immigration devient invisible aux yeux de l’État. On passe des questions relatives aux droits du travail à des questions de droits de l’homme. Le travailleur immigré n’est plus considéré en tant que travailleur faisant partie de la classe ouvrière, mais comme sans-papiers, demandeur d’asile. Pendant deux décennies, le travailleur ne sera plus le sujet. »
Aujourd’hui les grèves de sans-papiers et la campagne sur le racket des cotisations par l’État, initié par Droits Devant, les occupations de centres des impôts et de différentes administrations, ont remis la question du droit du travail et de l’immigré au centre des débats.
Mais c’est aussi l’État qui change d’orientation et tombe les masques avec la loi CESEDA de 2007. Il organise ouvertement le flux de main-d’œuvre de façon à baisser les coûts du travail dans certains secteurs et il lie le plus possible le travailleur sans-papier au patron, dans le processus de régularisation (3).
Une série de témoignages vont montrer les conditions de travail des Sans-Papiers.
À la merci des patrons
Mahamadou témoigne :
« Je travaille dans une entreprise de nettoyage de 18 salariés, depuis 2005, à temps plein. Ça fait huit ans que je travaille en France. Avant 2005 je faisais de petits boulots. Il y a sept mois, j’ai révélé à mon patron que je n’ai pas de titre de séjour et je lui ai demandé un CERFA. Il a refusé catégoriquement et a pris un avocat pour se couvrir auprès de la police s’il m’arrivait d’être arrêté. Le patron me demande d’avoir un titre de séjour de trois mois pour me faire le CERFA. Depuis il me met la pression. Il a diminué mon salaire. J’ai peur de lui et de ses réactions. Quand j’ai un problème sur un chantier, je n’ose pas l’appeler directement ; j’appelle sa sœur ou son frère qui travaillent avec lui. Pour payer le CERFA, je lui ai proposé de travailler pendant mes congés et qu’il garde l’argent. Il a gardé l’argent mais refuse le faire le CERFA. »
Salif
« Les patrons profitent de nous pour gagner de l’argent. On fait le travail de deux personnes avec papiers sur un chantier. On travaille sept jours sur sept, on nous appelle même la nuit. Et quand on demande un CERFA, ils refusent. Ils n’ont pas intérêt à ce qu’on ait les même droits que les autres salariés. Et si l’inspection du travail vient sur le chantier, on ne peut rien dire. Ou alors on ment. Par exemple, j’utilise un marteau-piqueur pendant huit heures alors que la loi l’interdit. Normalement il faut changer les équipes toutes les 3 heures. On n’a pas intérêt à appeler l’inspection du travail car, en cas de contrôle, la première chose que fait le patron, c’est de virer les sans-papiers. »
« Pas de papiers, pas de qualifications »
Les patrons donnent en connaissance de cause des boulots qualifiés aux sans-papiers mais ils les déclarent systématiquement comme manœuvres, explique Alain, inspecteur du travail. « Aujourd’hui les opérations se font en majorité avec des fenwick à commandes vocales, c’est-à-dire un travail qualifié, mais les patrons déclarent les sans-papiers en tant que préparateurs de commandes, c’est à dire un travail non qualifié. Ce qui représente une différence de 20 centimes d’euro de l’heure sur la fiche de paye. Idem pour les maçons qui ont un statut de compagnon dans le droit du travail, et là, la différence de salaire est plus importante. »
Les infractions à la législation du travail sont constantes et multiples : Les temps de trajet entre deux chantiers dans le nettoyage ne sont pas calculés et pas payés. La carte orange pas remboursée, les temps habillage et déshabillage, de douche pour travaux salissants ne sont pas pris en compte. Idem pour les primes de salissure, de marteau-piqueur, de panier... (Les conventions collectives des métiers du bâtiment regorgent des primes). Les heures sup, les congés payés ne sont pas payés. Au final, cela représente des milliers d’euros surtout si l’entreprise est grosse et abuse de l’intérim.
Salif : « On travaille sur des machines qui nécessitent une formation et donc des « primes de machines ». Mais les patrons ne payent pas ces primes. Et il y a plein de sans-papiers sur les chantiers qui font la maçonnerie. Mais les feuilles de paye écrivent « manœuvre ». Et quand il fait un CERFA, le patron nous déclare aussi comme « manœuvre ». Alors la préfecture rejette notre dossier et nous dit que nous n’avons pas de métier »
Mahamadou : « Dans le nettoyage on travaille seul sur un chantier, on ne voit pas les autres salariés. Et on ne peut pas dire ouvertement qu’on n’a pas de papiers car si le patron l’apprend, il nous met la pression, nous fait exécuter des taches plus difficiles, les horaires sont allongés, il nous exploite plus. »
« Le salarié du second marché est nu. »
L’État, via les différentes administrations, confisque le salaire indirect des travailleurs sans-papiers. L’administration est de plus en plus confinée à des missions de contrôle, en vue de restreindre les droits des sans-papiers, droits pourtant acquis par leur travail. A Pôle Emploi, par exemple, les agents doivent passer les titres de séjour sous une lumière bleue afin de vérifier leur authenticité.
L’objectif n’est pas que tous les étrangers soient privés de droits, cela serait contre-productif car trop ouvertement discriminatoire, mais de créer une pression permanente afin que les travailleurs immigrés aient leurs papiers et accèdent à leurs droits le plus tard possible (chômage, CMU, allocations...).
Silly témoigne : « Çà fait plus de six mois que je demande la carte Vitale et comme j’ai obtenu un récépissé de trois mois, je n’ai plus droit à la CMU. En plus, la Sécurité Sociale ne prend pas en compte les feuilles de paye d’avant la régularisation, donc ces cotisations-là sont perdues. En fait le fait d’avoir des papiers, c’est le début des problèmes ! Il faut se battre encore plus pour avoir ses droits ! »
L’État multiplie les étapes avant et après. On fait planer sur les travailleurs sans-papiers la menace de la réversibilité des droits. Ce droit que l’administration a reconnu, elle peut le reprendre. Par exemple, « dans le cadre des « régularisations par le travail » le service de la Main-d’œuvre Étrangère demande aux inspecteurs du travail de se rendre dans une entreprise afin de vérifier que le poste de travail est bien existant. L’Etat demande beaucoup moins de vérification quand il s’agit de contrat d’apprentissage. On nous demande de vérifier la réalité du poste de travail du salarié qui demande un regroupement familial, pas la personne qui vient, mais une personne qui est là depuis au minimum cinq ans en situation régulière. Le but étant d’interdire dans les faits le regroupement familial. »
On enchaîne le sans-papier au patron
Silly « Pendant des années, le Sans-Papiers a prouvé qu’il était rentable. T’as fait que travailler, t’as cotisé et touché aucun de tes droits. Mais pour régulariser, on doit encore faire la preuve qu’on va être rentable dans le futur. Par le CERFA. Et si tu as la chance d’être régularisé, eh bien, pendant un an, c’est comme si l’Etat disait au patron : tu peux pressurer encore ton salarié une bonne fois ».
On complexifie aussi les lois afin de priver les travailleurs immigrés de leurs droits. Par exemple, les « chibanis » (les vieux travailleurs maghrébins à la retraite), pour toucher leurs retraite, doivent habiter au moins six mois en France au cours de l’année.
Quel recours pour les sans-papiers ?
Les inspecteurs du travail ne peuvent pas intervenir directement pour l’obtention des papiers. Par contre, ils peuvent jouer sur le fait qu’un salarié sans-papiers a, dans la loi, les même droits qu’un salarié avec papiers. Quand une entreprise ne respecte pas les conventions collectives, les inspecteurs peuvent créer un rapport de force : « On prépare un dossier solide et on négocie avec le patron avant même de passer aux Prud’hommes, surtout si l’employeur est en infraction pour des grosses sommes d’argent. Il y a des employeurs qui doivent 40 000 euros. L’un a même une dette 980 000 euros pour un groupe. Là, on a une arme pour négocier des CERFA et que le patron fasse les démarches de régularisation. Mais ça ne remplace pas la nécessité de se regrouper en collectif et de faire des actions politiques. »
Alexandra
(1) Voir l’article et la vidéo sur le blog ouvalacgt
(2) Cf article Partisan n° 218 et 219, janvier-mars 2008.
(3) Voir Partisan n° 202, avril 2006.
Histoire d’amiante
Deux extraits de réunion
Conférence de presse, le 2 novembre 2009 devant les Impôts de Vitry. Intervention de Marc, qui représentait l’OCML-VP.
« L’année dernière, je suis allé voir un chantier en grève. Les travailleurs m’accueillent en me disant : « Nous avons un problème de plomb et d’amiante. » Je suis retourné voir mes collègues de l’Alstom Saint-Ouen leur dire : « Nous nous sommes battus contre l’amiante. On a réussi à l’interdire. Même s’il y a encore des morts et des blessés car l’amiante est dans les poumons. Mais le patron, s’il veut résoudre le problème aujourd’hui, il prend des sans-papiers. Le sans-papier est obligé de travailler dans l’amiante et de fermer sa gueule. C’est donc tous ensemble qu’il faut se battre pour les papiers. C’est l’intérêt de tous les travailleurs que les travailleurs sans papiers aient des papiers. Sinon les patrons feront ce qu’ils veulent. »
Jeudi 17 décembre 2009, réunion publique VP à Marseille avec des sans-papiers en lutte venus de Vitry-sur-Seine. Intervention de Moussa, sans-papier de Vitry.
« Vers 6 h 00 du matin, il y a des camions qui venaient tout le long du foyer. « Qui a envie de bosser ? » Toi t’as l’impression que c’est un bon taf. Juste aller démolir un bâtiment amianté que les gens, ceux avec papiers, ont refusé de faire. On te donne même pas le masque de protection. Le gars est costaud, musclé. On sait que d’ici midi, il pourra faire descendre plusieurs appartements. Mais lui ne se rend pas compte de ce qui l’attend, de la maladie qu’il est en train d’avaler. Et aujourd’hui, il y en a d’autres qui sont couchés dans les foyers, qui ont mal à la poitrine. Et quand ils reviennent de l’hôpital, on leur a dit qu’ils ne peuvent plus travailler. Et quand on lui raconte que c’est parce qu’il est allé travailler au noir sans protection, il demande pourquoi les gens ne lui ont pas expliqué ça rapidement. « Si on t’avait expliqué rapidement, tu aurais dit que tu t’en foutais parce que tu as besoin d’argent. Que tu as une maman au pays qui te téléphone et qui n’a rien à manger. »