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Guerre en Yougoslavie : qui soutenir ?

Partisan N°88 – Mars 1994

Depuis le début du conflit, c’est la question lancinante qui préoccupe tous les militants qui ne supportent plus de rester impuissants face ce conflit et développement du nationalisme

« L’idée » multiculturelle

Dans nos derniers numéros (voir Partisan N°86), nous avons reproduit quelques extraits de tracts les plus progressistes.
La première chose, c’est qu’il faut défendre « l’idée » multiethnique, avec d’ailleurs toutes ses conséquences sur la politique en France. Comme l’écrit une militante de Voie Prolétarienne : « La multiculturalité est un axe idéologique positif contre le nationalisme, le chauvinisme, la montée d’une doctrine fasciste ; avec ce rappel important que cette idéologie fait tache d’huile et que l’on trouve son pendant en France dans le discours sur l’immigration. Les forces qui soutiennent le multiculturalisme en Bosnie, que défendent-elles ici pour être conséquentes ? Que vont défendre là-bas les partisans bourgeois d’une intervention antiserbe alors qu’en France ils encouragent la propagation des idées anti-immigrés ? »
C’est donc un axe de soutien qu’il faut défendre avec conséquence, même si elle nous met dans un rapport difficile avec certains intellectuels comme Bernard-Henri Levy.

Soutenir le gouvernement bosniaque ?

Ces mêmes partisans de la multiculturalité ont toujours soutenu le gouvernement bosniaque. Critiquant sévèrement (et justement) l’ONU et les grandes puissances, ils en sont même veus récemment (après l’obus sur le marché de Markale à Sarajevo) à organiser une collecte pour acheter des armes pour le gouvernement bosniaque. « Des armes pour la Bosnie » est devenu peu à peu leur mot d’ordre principal.

 

Après réflexion, nous ne sommes pas d’accord avec ce mot d’ordre, ni avec ce soutien. Plusieurs éléments sont intervenus dans ce choix.

 

Le gouvernement bosniaque (et son président Izetbegovic) est moins que clair sur la multiculturalité et le caractère multiethnique de la Bosnie. Il est d’ailleurs surtout constitué des membres du SDA, parti nationaliste musulman. Ecoutons David Marton, journaliste qui est resté trois mois à Sarajevo début 1993 (article publié dans « La Nouvelle Alternative » N°30) :
« Les élections d’avant-guerre ont donné le pouvoir aux seuls partis nationalistes, musulman, serbe et croate. Dès les élections, les non nationalistes étaient marginalisés dans leur ensemble et ils le sont encore plus dans le contexte de la guerre. Le discours d’Izetbegovic avant les élections était celui d’un bon musulman. Le discours de bosnité d’aujourd’hui est dont très différent de celui qu’il tenait auparavant. Il tient ce discours dans le cadre des relations internationales : il est en faveur d’une Bosnie-Herzégovine non confessionnelle et pluriethnique. Ceci dit, il est encore à la tête d’un parti ouvertement nationaliste musulman, le SDA (…) Plus inquiétante est la composition de ce gouvernement : certains de ses membres sont certes laïcs, modernistes et en faveur de la pluriethnicité,. Mais les autres, en majorité sont des caciques du SDA qui favorisent, par exemple, l’organisation humanitaire Merhamet, composée de Musulmans et orientée vers l’aide aux seuls Musulmans. Cette organisation apparaît de plus en plus comme le levier gouvernemental d’action « sociale » et humanitaire, mais c’est un levier confessionnel, et nous avons vu l’importance politique de l’humanitaire ».
Par ailleurs, il semble que depuis quelques mois la réorganisation réelle de l’armée bosniaque se soit traduite par des changements notables à l’état-major, en renforçant son caractère Musulman (alors qu’il était relativement mélangé).
On peut légitimement penser, comme le note David Marton, que le discours pluriethnique du gouvernement est destiné avant tout à l’opinion occidentale, tant elle est plus présentable que le nettoyage ethnique des milices serbe et croate.
Il est par contre indéniable qu’une partie importante de la population de Sarajevo, Tuzla ou ailleurs est favorable au pluriethnisme. C’est ce courant que nous devons soutenir et aider à y voir plus clair.

 

Le gouvernement ne semble pas avoir un soutien populaire massif. « Faute de mieux, on se groupe derrière Izetbegovic » note David Marton, mais « pour beaucoup, à Sarajevo, le gouvernement n’est ni populaire, ni légitime ». De plus, son autorité reste très limitée sur la Bosnie dans son ensemble, l’éparpillement des villes et des zones de combat donnant beaucoup plus de poids aux autorités locales (municipalités).
Nous n’excluons nullement par principe le soutien tactique à un gouvernement bourgeois dans un combat démocratique juste (par exemple le soutien au gouvernement républicain espagnol en 1936). Encore faut-il que certaines conditions politiques soient réunies pour garantir que ce soutien ne servira pas à renforcer ces bourgeois en place. Ces conditions ne sont manifestement pas réunies dans ce cas.

 

Un exemple très significatif mérite d’être expliqué. C’est celui de l’enclave bosniaque de Bihac, à l’Ouest de la Bosnie. Depuis octobre dernier des combats opposent l’armée bosniaque à un potentat bosniaque local bien significatif : il s’agit de Fikret Abdic, ex-membre de la direction de la Ligue des Communistes Yougoslaves, ex-membre de la direction collégiale bosniaque, et toujours PDG du trust agro-alimentaire Agrokomerc. C’est une de splus grosses entreprises de l’ex-Yougoslavie (13 000 employés) avec filiales à l’étranger, d’ailleurs implique en 1987 dans une gigantesque affaire de corruption.
Fikret est un patron de choc qui ne voit que ses intérêts. En l’occurrence, poursuivre ses affaires et même avec ses voisins, Croates, ou Serbes de Krajina et de Bosnie. Il a signé des accords de paix avec toutes les parties, ouvert des corridors de passage et surtout commerciaux à travers la Serbie et la Croatie. « Les autonomistes, qui ont nommé deux Serbes dans leur « gouvernement » veulent faire la paix tout de suite avec leurs voisins, transformer la « province » en un Monaco bosniaque, une zone sans taxes avec un port franc à Rijeka (Croatie) qui profiterait à tout le monde (et surtout à Agrokomerc) ». (Le Monde du 6 octobre 1993).
Faut-il soutenir les Bosniaques, comme ça, en général ? Faut-il soutenir Abdic ? Evidemment non.
Mais cet exemple révélateur montre toutes les ambiguïtés du soutien au gouvernement bosniaque prôné par les plus militants des opposants à la guerre.

Lutter contre le Nouvel Ordre Mondial

« Quant au prolétariat d’Europe occidentale, il clame ses mots d’ordre avec une force redoublée : aucune intervention ! Les Balkans aux peuples balkaniques ! »
(Lénine en 1912, lors de la première guerre balkanique)

 

Mais ce refus de soutenir le gouvernement bosniaque, ce refus de reprendre le mot d’ordre « Des armes pour la Bosnie » ne nous conduit-il pas à l’impuissance, à rester spectateur d’un conflit qui nous enrage ? Non. Deux axes peuvent être dégagés, ils ont d’ailleurs été avancés par petits bouts dans ce journal.

 

Le premier axe, c’est la lutte contre le Nouvel Ordre Mondial. Contre l’ONU, l’OTAN, la politique des grandes puissances impérialistes, les Casques bleus, les blocus et les embargos. C’est une lutte en négatif, contre nos dirigeants. Nous sommes pour la levée du blocus sur l’ex-Yougoslavie, car il n’est qu’un instrument de ce Nouvel Ordre. Cela n’implique ni un soutien au gouvernement serbe (qui en profitera) ni au gouvernement bosniaque (qui pourra importer des armes). Non. C’est l’affirmation qu’une paix réelle, populaire et antinationaliste ne pourra se faire sous l’égide des gendarmes du monde. Et que la première tâche, pour nous dans un pays impérialiste, c’est d’exiger le retrait de l’intervention des grandes puissances.

 

Dans le même ordre d’idée, nous exigeons le « retrait des Casques bleus ». Diable va-t-on nous dire, vous livrez « ces pauvres Bosniaques désarmés » à la barbarie des « sauvages serbes », vous vous opposez à l’intervention humanitaire. Tout d’abord, l’intervention des Casques bleus et de l’ONU est sérieusement contestée par la population bosniaque elle-même. Ne sont-ils pas là en fait pour entériner les rapports de forces établis par les milices nationalistes ? N’ont-ils pas à plusieurs reprises contribué à désarmer les Bosniaques ou à évacuer des populations ?
Ensuite, leur présence ne fait que limiter les dégâts en prolongeant le conflit. Enfin, elle entretient la confusion sur les moyens d’en finir avec la guerre et le nationalisme.
Nous ne sommes pas contre l’humanitaire d’urgence aux populations démunies. Nous sommes contre son utilisation dans une perspective politique bien définie, celle de la partition de la Bosnie et du Nouvel Ordre Mondial.

Soutenir les pacifistes et anti-chauvins de tous bords

Nous avons également toujours affirmé cette orientation sans toutefois être capable de lui donner un contenu un peu plus concret.
Nous commencerons par le « Cercle des intellectuels de Belgrade » qui regroupe plusieurs centaines d’écrivains, d’artistes, de scientifiques vivant en Serbie et radicalement opposés à l’ultranationalisme ambiant. Isolés et négligés par les médias occidentaux puisqu’ils sont totalement marginaux et ne subissent donc pas de répression directe (juste des tracasseries systématiques), ils réfléchissent sur « l’Autre Serbie » qu’ils appellent de leurs vœux. La revue « Les Temps Modernes » vient de leur consacrer un numéro spécial [N° double 570-571 janvier-février 1994] en publiant plusieurs dizaines de contributions de ces intellectuels. Qu’on n’attende pas de discours révolutionnaires ! Néanmoins on trouvera de nombreuses contributions intéressantes pour comprendre comment on en est arrivé là.

 

Il faut ensuite parler des divers regroupements pacifistes existants en Slovénie, en Croatie, en Serbie, en Bosnie même. Nous tentons en ce moment de rentrer en contact avec eux pour renforcer la solidarité internationale. (…)

 

Enfin, dernière initiative qui a arrêté notre attention est celle de l’organisation d ‘un convoi de solidarité avec les travailleurs de Tuzla, à l’initiative d’un Secours Ouvrier pour la Bosnie (dont nous ignorons tout par ailleurs, sinon qu’il s’est constitué en Angleterre). Nous en publions ci-joint l’appel. Cette initiative a un intérêt double : celle d’être indépendante des ONG, de l’ONU et de l’impérialisme en général, ainsi que du gouvernement bosniaque. D’autre part, il s’agir de soutenir une région ouvrière : il faut savoir que les mineurs de Tuzla avaient soutenu financièrement la grande grève des mineurs anglais il y a quelques années. Là encore, dès que nous aurons pus d’éléments, nous les communiquerons à nos lecteurs.

 

A.Desaimes

Soutenez le convoi de solidarité avec les travailleurs de Tuzla !

 

Depuis maintenant deux ans, le peuple de Bosnie-Herzégovine résiste à l’agression criminelle des ultra-nationalistes serbes et croates. Tuzla, région ouvrière et minière du centre de la Bosnie, est un bastion contre la division du pays selon les lignes ethniques. Qu’ils soient croates, serbes ou musulmans, les travailleurs de Tuzla défendent leur unité et leur société multiethniq ue et multiculturelle.
Le Secours Ouvrier pour la Bosnie (Workers Aid for Bosnia) s’est constitué en juin 1993, d’abord en Grande Bretagne puis dans d’autres pays, afin d’apporter la solidarité de classe des travailleurs européens à leurs camarades de Bosnie-Herzégovine. Il est d’ores et déjà soutenu par d’importantes organisations syndicales de plusieurs pays, comme les syndicats des mineurs de Hongrie, de Croatie et de Slovénie).
A l’automne dernier, puis à Noël, il a organisé deux convois de vivres et de médicaments vers Tuzla, encerclée par les troupes serbes qui veulent la réduire par la faim. Mais toutes sortes d’obstacles leur ont été opposés. L’ONU, l’Union Européenne et les gouvernements occidentaux (et parmi eux Mitterrand et Balladur), au-delà de leurs déclarations démagogiques, utilisent le blocus et leur contrôle de l’aide humanitaire pour tenter de faire accepter aux Bosniaques le Plan Owen-Soltenberg, qui prévoit le découpage ethnique de la Bosnie avec 51% du territoire attribué aux chauvins grand-serbes.

 

En accord avec la municipalité de Tuzla et des dix-huit autres localités de la région, le Secours Ouvrier a engagé une bataille pour faire ouvrir « la route du Nord » entre Orasje (à la frontière croate) et Tuzla, et ainsi forcer le blocus. Longue de 75 km seulement, cette route est la seule qui permette le passage de camions de fort tonnage et donc de l’aide massive qui est nécessaire.

 

Les 15 et 16 janvier dernier, le Centre logistique de Tuzla et le Secours Ouvrier pour la Bosnie ont organisé à Stuttgart une réunion internationale, qui a repris la proposition d’organiser pour la fin février, à partir de Zagreb. C’est cette campagne et cette initiative que nous vous demandons de soutenir, en signant une pétition, en apportant votre concours financier, en nous rejoignant.

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