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Turquie : La nouvelle loi sur l’avortement

Partisan N°263 - Mars 2013

Le débat a commencé le 8 Mars 2008, quand le Premier Ministre turc Erdogan a déclaré : « D’ici 25 à 30 ans, la population jeune de la Turquie va diminuer, faites des enfants ! ». Un an auparavant, il avait précisé que sa propre femme avait mis au monde 4 enfants, élevés dans des conditions difficiles. Ces déclarations réitérées, d’un homme d’Etat représentant la bourgeoisie capitaliste, sont conformes aux intérêts stratégiques des milieux du Capital turcs.
La bourgeoisie turque « planifie » le corps de la femme dans une stratégie d’augmentation de la démographie, afin de pouvoir préserver sa position actuelle dans l’arène des marchés impérialistes. Les dirigeants du pouvoir turc utilisent les femmes comme des machines à produire de la « race » pour poursuivre leur politique expansionniste, colonialiste et belliqueuse, car l’augmentation de la démographie garantira un nombre toujours plus important de soldats dans les institutions militaires, et donc le renforcement de ses corps armés et la poursuite de sa guerre contre la population kurde. La dictature conservatrice et patriarcale en place en Turquie est une dictature contre les femmes.

 

Pour marquer les esprits, Erdoğan a présenté le projet de loi anti-avortement en employant des mots de haine et menaçants à l’égard des femmes en les identifiant aux auteurs d’un massacre étatique : « L’IVG est un meurtre », « Chaque IVG est un Uludere ». Cette loi d’IVG, nommée littéralement „loi des services de santé de la reproduction“, a pour perspective finale d’empêcher le recours à l’IVG, d’inciter à faire des enfants et d’effectuer le contrôle étatique sur le corps de la femme.
Notons tout d’abord que les femmes n’ont pas répondu massivement aux appels d’Erdogan de faire 3, 4 ou 5 enfants. Depuis 2008, il n’y a pas eu d’augmentation significative de la natalité. Elles ont résisté. Suite à l’annonce faite par le Premier Ministre du délai légal d’autorisation de l’IVG, qui devait passer de 10 à 4 semaines, les femmes des mouvements de libération de Turquie et du Kurdistan, et les femmes travailleuses, ont massivement occupé les pavés pendant des jours.
Le parti du gouvernement, Erdogan et les capitalistes ont dû reculer suite aux actions de solidarité des organisations féministes de la lutte internationaliste. Ce pas en arrière a redonné confiance et a renforcé le moral du mouvement de libération des femmes. Elles continuent aujourd’hui la lutte contre d’autres articles de cette législation, contre la totalité de cette loi, ainsi que contre la loi sur la césarienne.

 

Auteure de cet article : « Je suis exilée politique depuis 1 an et demi. En Turquie, j’ai été présidente du Syndicat Textile-SEN, vice-présidente du Parti Socialiste des Opprimés (ESP) et membre du Conseil Executif de l’Assemblée des Femmes Socialistes. En Europe, je suis membre de l’Union des Femmes Socialistes. Je salue la lutte de Libération des Femmes en France. Vive notre Lutte Internationale des Femmes ! »
A lire ci-dessous : Le détail de la loi ; un exemple qui montre sa dangerosité ; la loi relative à la césarienne ; enfin la loi sur l’éducation qui prévoit des cours de religion.

Qu’y a-t-il dans la loi des "services de la santé de la reproduction" ?

 


- Le délai de recours à l’IVG est de 10 semaines“ Il s’agit de l’article le plus stratégique et qu’il fallait le plus investir dans la lutte et il est finalement maintenu.

 

 
- "Le corps médical et les spécialistes peuvent décider de ne pas pratiquer l’IVG quand nécessaire". En d’autres termes, ce n’est pas la volonté de la femme qui souhaite l’avortement mais celui du médecin qui va être déterminant. Car les femmes n’ont déjà pas tous accès à un médecin qui réalise l’IVG sur le territoire de la Turquie et du Kurdistan. En outre, l’augmentation de médecins pro-AKP, dont les convictions politiques et religieuses sont contre les femmes et rétrogrades, représente un danger réel. Les femmes seront confrontées à une interdiction de l’acte dans la pratique au quotidien.

 


- "La pilule du lendemain sera délivrée gratuitement dans les centres de santé familiale et les organismes de soins". Cette gratuité est appréciable mais les femmes devraient pouvoir avoir accès à cette pilule gratuitement dans tous les centres de soins et hôpitaux qu’ils soient privés et publics. Par cet article * et d’autres similaires, la pilule du lendemain ainsi que d’autres moyens de contraceptions restent sous le contrôle de l’Etat.

 

  
- "Les femmes qui travaillent dans les emplois précaires auront un statut". Cet article a pour but de donner un message aux femmes, celui de ne pas avorter car grâce à un emploi même précaire elle pourra s’occuper de son enfant. Dans les faits, il s’agit de rien d’autre que de promouvoir une main d’oeuvre pas cher, une vie d’esclave enchaînée à la maison, à l’homme, à l’enfant et au capital.

 


- Il est précisé que „Les femmes qui travaillent bénéficieront d’une aide pour la crèche. L’aide pour les enfants sera augmentée.“ Or, les crèches publiques ont été supprimées les années précédentes. Les crèches municipales sont très rares. Les femmes restant garder leur enfant, peu aidées.
Pourtant, le progrès serait que la sécurité sociale et la retraite des femmes soient garanties par une rémunération du travail des femmes au foyer.

 


- "Le congé maternité de 8 semaines prévu après l’accouchement passe à 6 mois." Nous savons que la plupart des femmes qui travaillent ont recours après le congé maternité à des congés sans solde. Rien ne favorise réellement l’implication des pères !

 


- "Le congé paternité est de 10 jours après l’accouchement." Cette loi qui est mignonne est discriminatoire et n’assure pas l’égalité hommes-femmes pour la garde des enfants.

 


- "Droit à deux heures pour l’allaitement"

 


- "L’avortement pourra être réalisée après 10 semaines de grossesse dans les cas suivants : risque vitale pour la mère et risque de maladie grave psychique ou physique chez la mère causées par la poursuite de la grossesse ; état de santé du bébé incompatible avec la vie et handicap grave ; grossesse résultant d’un crime (viol) où la femme est victime." Dans cet article, certaines situations que la famille et la femme subissent du fait du système capitaliste ont été volontairement oubliées. Par exemple, après le délai de 10 semaines de grossesse des situations telles que conflits de famille et violences conjugales, appauvrissement conséquent de la famille… etc peuvent apparaître. Dans ce type de circonstances, la femme pourrait vouloir avorter malgré le dépassement du délai légal. Mais cet article ne traite aucunement de ce genre de facteurs socio-politiques et psychologiques dont la femme pourrait être victime. Par conséquent, la femme qui serait confrontée à l’interdiction de l’avortement dans de telles circonstances cherchera des solutions illégales qui mettront en péril sa santé.

 


- "L’interruption de la grossesse après le délai de 10 semaines ne pourrait être autorisé que dans des hopitaux universitaires, du Ministère de la santé et hopitaux de recherche et de formation". Cet article met en place le contrôle étatique des hopitaux qui pourront pratiquer l’interruption. Donc, si les autorités n’autorisent pas l’acte après le délai de 10 semaines selon les critères prévus, les femmes seront condamnées à recourir à des médecins opportunistes et par moyens illégaux, et devront se rendre dans les pays dit de "tourisme du curetage" et qui pratiquent l’acte. Il existe des annonces sur le net, notamment en Chypre, dont celui de l’entreprise de tourisme de Baracuda de type : "299 euros pour 3 nuits 4 jours, curetage compris" ou "le curetage est gratuit, nous ne faisons payer que le prix du séjour". L’entreprise qui propose le séjour explique d’ailleurs que ce tourisme est conforme à la législation et que la demande a augmenté avec le débat sur la réforme législative en Turquie.
- "Les personnes qui font l’interruption de grossesse à l’extérieur des lieux désignés par la législation seront condamnées à 2 à 4 ans de prison."

 


- "Si la femme fait une fausse couche volontairement après le délai de 10 semaines, la peine prévue est de 3 ans minimum."

 


- "Les couples qui désirent avorter auront un entretien au centre d’écoute et d’information." Ce centre donnera un délai de réflexion de 4 jours au couple. Mais, après les déclarations du Premier Ministre qui a employé les termes de "L’IVG est un meurtre", on se questionne sur la mentalité qui dominera dans ces centres mis en place par le Ministère de la Santé et qui risquent de devenir des lieux de pression morale et religieuse, dont on ne sait quels moyens seront employés pour convaincre les couples. Les déclarations des politiciens de la bourgeosie et du régime fasciste qui culpabilisent et traumatisent les femmes sont fondées sur des arguments politiques et religieux. Toute femme qui a recours à l’IVG sera affichée avec l’accusation de pecheresse et de meurtrière.

 

 
- "L’inceste est punie de 5 et 10 ans de prison même s’il y a eu consentement"

 


- "Le viol est puni de 6 à 10 ans de prison s’il est commis sur mineur"

 

 
- "Les parents qui forcent leurs enfants mineurs au mariage seront punis de 1 à 3 ans de prison."

 


- "Les mineures de moins de 15 ans victimes de viols pourront avorter par décision du juge."

 

Je vous ai résumé l’idée générale de la loi relative à l’avortement. Je souhaite à présent vous donner un exemple qui semble mineur mais qui montre la dangerosité sous-jacente à cette législation. Ensuite, je m’arrêterai en particulier sur les modifications de la loi relative à la césarienne et à l’éducation qui ont des conséquences lourdes pour les femmes.

 

Une jeune femme qui bénéficie de la sécurité sociale de son père effectue un test de grossesse à l’hopital. Les résultats de cette femme non mariée sont transmises sur le téléphone du père qui reçoit le message : „Félicitations ! Votre fille est enceinte.“ ! La jeune femme se renseigne pour comprendre auprès d’un chroniqueur du journal Haber Turk qui met l’opinion publique au fait par un article. Malgré la négation par le Ministère de la Santé de cette pratique, l’Union des Médecins Turcs finira par divulguer la directive à ce propos envoyée aux laboratoires des hopitaux. Dans cet exemple, on voit clairement une intervention dans la vie privée et sexuelle des jeunes femmes au moyen de la sécurité sociale familiale. Les femmes sont ainsi fichées. Dans un pays comme la Turquie où la virginité est encore sacralisée, cette législation tente de contrôler les nouvelles générations qui ne se conforment pas aux moeurs rétrogrades. En Turquie et au Kurdistan où les traditions et les moeurs féodaux dominent largement le quotidien, la situation décrite dans cet exemple est dangereuse au point de mettre en péril la vie des jeunes femmes qui risquent d’être exécutées par leurs familles, de se suicider, d’être exclues de la société, d’être humiliées, violentées et lapidées.

 

L’AKP prend ce risque et défend l’idée portée par le proverbe„ Ne touche pas au baton qui frappe la femme, ni à l’âne qu’elle porte“. Ce proverbe annihile la femme sous la pression sociale et politique de l’Etat, de l’homme, du père, du juge, du médecin… aux idées conservateurs. Le droit de disposer de son corps pour la femme disparaît presque complètement. Il existe une réalité quotidienne des femmes en Turquie, celle où leurs corps sont contenues dans un „pressoir“ de l’Etat turc, de ses tribunaux et organismes de soin de domination masculine, capitaliste, arriérée, fasciste et emplie de haine pour la gente féminine. Ce n’est pas un hasard si les femmes sont au coeur des centres des débats du système sur la propriété privée qui a envahi le monde et si les lois relatives à l’avortement en font partie.

 

 
La loi relative à la césarienne s’ajoute à l’actualité de la lutte des composantes du mouvement de Libération des femmes de Turquie et du Kurdistan.

 

 
- "En cas de nécessité médicale pour la femme enceinte ou le foetus, la naissance pourra se faire par césarienne. Le médecin ne sera pas tenu responsable des conséquences involontaires possibles sur la mère ou l’enfant malgré la prévention au cours du suivi de la grossesse."

 

L’Etat place sous la responsabilité et la compétence du médecin la loi sur la césarienne en modifiant quelques phrases de celle-ci. Les médecins expliquent pourtant qu’il serait plus juste que cette loi soit organisée par rapport à la volonté de la mère. Or, telle quelle, on ne pose pas son avis à la mère. En conditionnant la pratique de la césarienne à la nécessité médicale, tous les accouchements doivent obligatoirement être faits normalement.

 

Les statistiques montrent qu’en Turquie, la pratique de la césarienne était de 21% en 2003 où l’AKP est arrivé au pouvoir et de 48% en 2012. Depuis l’accélération de la privatisation dans le secteur de la santé par l’AKP, les hôpitaux doivent être performants et travailler en fonction du nombre d’actes réalisés. Cette privatisation a des effets sur la pratique médicale, les taux de natalité et de césarienne, et, la Turquie est aujourd’hui au dessus de la moyenne mondiale. L’AKP a le pouvoir de mettre en place une loi dépendante de l’initiative des médecins, y compris là où les sages-femmes intervenaient, sans avoir au préalable restructurée ce système déformé par les privatisations. Les médecins, juste après la modification de la loi sur la césarienne, et sous la pression de l’obligation d’appliquer la loi ont fait des erreurs de jugements conduisant, par l’absence de recours à la césarienne, à des décès de femmes et de bébés. Ces décès fréquents et qui ont fait la une des médias ont pour responsables les autorités. En effet, la mise en place du système qui prévoit que les sages-femmes attendent 12 heures auprès de la femme au cours de l’accouchement à l’Hôpital prendra au moins 5 ans, et les experts qui ont appelé à ce que la formation de ce personnel soit privilégiée rapidement n’ont pas été entendu. Ce doit être les femmes qui décident si elles vont accoucher par césarienne en 2 heures ou si elles vont attendre 12 heures pour accoucher normalement en dehors des cas de risques médicales.

 

Enfin, la nouvelle loi sur l’éducation prévoit des cours optionnels de religion enseignant le Coran et la vie de Mahomet aux enfants de 10 ans à partir du Collège. Une génération d’islamistes va ainsi être formée. Les filles qui participeront à ces cours de Coran devront se voiler. Ainsi les futures jeunes femmes vont être formées selon les préceptes de l’Islam. C’est une tentative de normaliser la tenue traditionnelle islamiste des femmes au quotidien.

 

Les femmes du mouvement de Libération de Turquie et du Kurdistan luttent par des moyens divers sur ces questions d’actualité. L’ordre du jour, les revendications et les slogans des travailleuses du monde sont désormais unis. Il est temps que cette union internationale grandisse.

 

Je salue la lutte de Libération des Femmes en France.
Vive notre Lutte Internationale des Femmes !

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