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Diderot : « Rendre la philosophie populaire ! »

Le 5 octobre prochain, c’est le 300e anniversaire de la naissance de Denis Diderot (1713-1784). Avant le marxisme, il fut le plus important des matérialistes. En effet, le matérialisme n’est pas une trouvaille de Marx ou d’Engels ; au contraire, depuis la Grèce antique, il est l’idée philosophique au service de l’émancipation des hommes, face à l’idéalisme, qui lui a toujours été finalement au service des classes exploiteuses. Marx et son camarade Engels ont lié le matérialisme à la dialectique pour le pousser à fond.
Diderot est connu du grand public en tant que co-rédacteur de l’Encyclopédie, œuvre gigantesque qui recueille toutes les connaissances scientifiques et techniques de l’époque, mais il est moins connu pour ses réflexions explicitement philosophiques. Il s’est intéressé à la religion, aux méthodes d’étude de la nature, au mouvement de la matière. Bataillant contre l’Église, contre l’Etat, il a connu les cachots dès 1749 pour avoir exprimer publiquement ses idées.
Avant Marx et Engels, Diderot était déjà arrivé à la conclusion que la matière primait sur la pensée, que nos pensées étaient en dernière instance déterminées par nos conditions sociales et matérielles d’existence. Pour lui, la Raison contredit l’existence d’un Dieu créateur de l’Univers : « Un phénomène est-il, à notre avis, au-dessus de l’homme ? Nous disons aussitôt : c’est l’ouvrage d’un Dieu […] Si la nature nous offre un nœud difficile à délier, laissons-le pour ce qu’il est et n’employons pas à le couper la main d’un être qui devient ensuite pour nous un nouveau nœud plus indissoluble que le premier » (1).
Il avait également entrevu la dialectique, en constatant que « dans cet univers, tout est en translation […] Tout est dans un repos relatif en un vaisseau battu par la tempête. Rien n’y est en un repos absolu, pas même les molécules agrégatives, ni du vaisseau, ni des corps qu’il renferme » (2). Il s’oppose aussi à l’apologie de l’élitisme et de l’individualisme faite par Rousseau : « L’homme de bien est dans la société, et il n’y a que le méchant qui soit seul » Pour Diderot, la philosophie n’est pas l’apanage d’une minorité d’intellectuels, mais doit intéresser le plus grand nombre : « Hâtons-nous de rendre la philosophie populaire ! » (3).
Bien sûr, Diderot avait les limites de son époque. Sa philosophie était progressiste, mais il ne concevait pas la société en terme de lutte de classes, et sur la question du pouvoir il s’est bien gardé d’exprimer des idées même strictement démocratiques. Il s’était placé sous la protection de l’impératrice Catherine II de Russie, à l’époque le plus despotique des souverains d’Europe. Mais son apport philosophique sera déterminant pour le mouvement ouvrier ; il influencera les matérialistes allemands (notamment Feuerbach, positivement critiqué par Marx et Engels), dont les idées, associés à l’économie politique moderne élaboré en Angleterre et au socialisme utopique vivace en France, seront les ferments du socialisme scientifique, c’est-à-dire du marxisme. Aujourd’hui encore, toute personne qui s’intéresse à la philosophie doit s’intéresser à l’œuvre de Denis Diderot, pierre cardinale sur le chemin que s’est frayée le matérialisme à travers l’Histoire.

 


— 1) Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient, 1749.
— 2) Principes philosophiques sur la matière et le mouvement, 1770.
— 3) Pensées sur l’interprétation de la nature, 1753.

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