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20 ans de zapatisme : quel bilan ?

Partisan N°271 - Février 2014

Le 1er janvier 1994, l’EZLN (Armée zapatiste de libération nationale) apparaissait au grand jour dans l’État du Chiapas, au sud du Mexique. Les Zapatistes ont pris la défense des communautés indiennes, qui forment la très grande majorité de la population dans le sud, exploitées et terrorisées par les grands propriétaires terriens blancs avec la complicité de l’État mexicain. L’EZLN ne se revendique d’aucun courant politique, ni du socialisme, ni du communisme, ni de la révolution. Elle ne parle pas en termes de classes sociales. Son programme ? « la justice », « la démocratie », « l’indépendance »… l’EZLN veut la démocratie radicale, sans dire quelle classe doit diriger. Pas la peine de développer les critiques que nous pouvons faire à cette ligne.

La reculade des Zapatistes

Après que l’EZLN ait pris le contrôle de plusieurs villes du Chiapas en quelques jours seulement, bousculant la police et l’armée, le gouvernement mexicain a, pour la première fois, accepté d’entamer des négociations avec un groupe armé. Les révolutionnaires peuvent effectivement accepter, tactiquement, de négocier avec leurs adversaires, si cela permet de pointer leurs contradictions ou d’obtenir des concessions ponctuelles, mais sans croire, ni laisser croire au peuple, qu’il y aurait un autre moyen que la force pour les faire plier. Les négociations ont échoué, comme tout le monde s’en doutait, le gouvernement n’ayant rien cédé. Au lieu d’en profiter pour mieux exposer la vraie nature de l’État mexicain et pour rallier encore plus largement à eux, au lieu de repartir à l’offensive, les Zapatistes ont préfèré se replier dans leurs bases pour y organiser l’indépendance politique des communautés indiennes sous une forme démocratique.
Depuis, un cessez-le-feu de fait y prévaut entre l’EZLN et l’armée mexicaine, qui laisse vivre les communautés autonomes. En fait, les zapatistes ont négocié la paix en échange d’un petit territoire où on les laisse tranquilles. Si l’État les laisse vivre leur vie, c’est parce qu’ils ne représentent pas, à l’heure actuelle, une menace. Ainsi le sous-commandant Marcos peut se rendre librement à Mexico pour participer à des meetings. Si l’EZLN reprenait la guerre, menaçait l’existence du régime, les choses se passeraient autrement !

Un immense espoir déçu

On peut le dire, l’EZLN a capitulé de fait. Elle a laissé passer une occasion historique, celle de faire la révolution. Il faut se rappeler ce qu’était le Mexique en 1994. Le pays était en pleine ébullition sociale. Divers mouvements de guérilla s’étaient regroupés. L’insurrection de l’EZLN a suscité alors un immense espoir dans tout le pays. Si elle l’avait voulu, elle aurait pu impulser un mouvement révolutionnaire de masse à l’échelle du pays, en fédérant partis révolutionnaires, organisations paysannes et indiennes, syndicats combatifs… Mais elle ne l’a pas fait. En se repliant au Chiapas, elle abandonne à leurs sort ceux qui, partout dans le pays, ont cru en elle. Les petits mouvements de guérilla sont laminés. Le mouvement paysan, réprimé de plus belle. L’État comprend qu’il a eu chaud, et pour éviter que ça ne recommence, il tire à boulets rouges.
Sous prétexte de respecter l’auto-organisation populaire, l’EZLN défend qu’elle n’avait pas à prendre la direction de quelque mouvement que ce soit. On ne peut pas faire la révolution à la place des autres, qu’ils s’organisent d’abord tout seuls, et ensuite on verra, dit-elle. Nous ne pouvons pas nous imposer à eux. Effectivement, on ne peut pas faire la révolution à la place des autres. Mais parfois, des obligations politiques s’imposent : à l’EZLN, il s’imposait d’avoir un rôle décisif dans l’organisation du mouvement révolutionnaire au Mexique. Aujourd’hui, alors que le Mexique est gangrené par le trafic de drogue, la corruption, les crimes les plus barbares contre le peuple, l’EZLN théorise le fait de rester dans son coin.

Assumer son rôle d’avant-garde

L’EZLN a, à un moment donné, été une avant-garde objective : même si elle ne l’a pas assumé, elle l’a été de fait. Bien sûr, pas tant par sa ligne politique, sur laquelle il y a beaucoup de critiques à faire, que par l’espoir qu’elle a suscité. Des avant-gardes émergent toujours dans la lutte populaire : des individus, des groupes ou des organisations qui se retrouvent dans des positions où les autres attendent d’eux qu’ils proposent une direction, prennent des initiatives. On peut être une avant-garde qu’on le veuille ou non. Pour l’avoir refusé, le zapatisme est plus un échec qu’un succès.

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