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Rwanda 1994 : Mitterrand, Balladur, Juppé, complices du génocide !

Partisan N°274 - Mai 2014

Le génocide

Un million de morts entre 6 avril et août 1994. Un génocide de voisinage, systématique, planifié sous la direction de l’Etat, exécuté massivement jour après jour pendant des semaines. Un génocide préparé depuis les années 90, sous l’égide du gouvernement Juvénal Habyarimana. Radio Télévision Libre des Milles Collines qui répand la haine contre les « cafards », jour après jour, et appelle au massacre. Des journaux, tels Kangura, qui répandent la haine raciale. En 1992, c’est la création des CDR (Comités de défense de la Révolution !) et des milices Interahamwe, ce que les protagonistes appellent eux-mêmes « le Hutu Power ».
Le déclencheur du génocide (mais non la cause), c’est l’avion présidentiel abattu le 6 avril. L’hypothèse désormais la plus probable suite à l’enquête systématique du juge Trévidic, c’est qu’il est atteint par un missile tiré par les fascistes hutus, qui jugeaient Habyarimana trop mou. Pendant des années, le gouvernement français a affirmé qu’il avait été abattu par le FPR, et que c’est donc lui le responsable du génocide… Quoiqu’il en soit, ce qui commence ce jour-là était préparé depuis des mois, des années, au vu et au su de tous : personne ne peut dire qu’il ne savait pas.
Le génocide vise au premier chef les Tutsis, désignés comme « les cafards », mais il visera également tous les Hutus progressistes qui s’opposeront au génocide.
Un gouvernement intérimaire rwandais est désigné le 9 avril, et c’est lui qui va mener le génocide, jusqu’au 4 juillet, date de la prise de Kigali par le FPR.

La France impérialiste et le Rwanda

Le Rwanda est un pays francophone situé dans une zone charnière entre les ex-colonies françaises (AEF) et les ex-colonies anglaises. C’est une zone d’affrontement géo-stratégique avec les USA, mais on ne peut pas dire qu’il y ait d’enjeu économique direct (pas de matières premières, de pétrole, d’uranium…). Cela explique à la fois le suivi très proche et le soutien militaire massif au gouvernement Habyarimana, et la non-intervention lors du génocide : pas vraiment d’intérêt à préserver...
Il y a une présence militaire française systématique depuis les années 90, en soutien massif au gouvernement Habyarimana. En 1990, première tentative d’invasion du Rwanda par le FPR, et la France met sur pied l’opération Noroît, pour organiser et renforcer l’armée rwandaise et repousser l’invasion. Pour la France, le FPR est le bras armé des USA dans la région : Kagame a participé à la rébellion, soutenue par les USA, qui a renversé Idi Amin Dada en Ouganda, et il été formé militairement aux USA en juin 1990.
Encore en 1993, nouvelle opération « Chimère », les forces spéciales encadrent les FAR pour repousser le FPR : « La France est en guerre avec le FPR » déclare le Général Tauzin au Nouvel Obs du 6 avril 2014.
Tout cela alors qu’on est en pleine phase de préparation du génocide, ce qui était parfaitement connu du gouvernement français informé par des services de renseignements omniprésents.

La France impérialiste et le génocide

L’opération Noroit est remplacée fin 1993 par la MINUAR (casques bleus) et le génocide commence par l’exécution de dix de ses soldats, pour décourager toute intervention. Donc en avril, l’armée française n’est formellement pas sur le terrain. C’est le socle de l’argumentaire français pour se dégager de toute implication dans le génocide.
Mais les services spéciaux français sont largement vus, et Paul Barril, ancien directeur de la cellule antiterroriste de l’Elysée de Mitterrand y est très actif, évidemment en lien étroit avec les services secrets français (il est aujourd’hui visé par une plainte pour complicité de génocide).
Entre le 8 et le 14 avril, opération Amaryllis pour évacuer les ressortissants français. La France est le seul pays à reconnaître le gouvernement intérimaire rwandais, désigné le 9 avril, qui exécutera méthodiquement le génocide, avec les Forces Armées Rwandaises et les milices Interahamwe.
La France n’est pas inactive en souterrain. Il y a de multiples accusations de livraisons d’armes aux génocidaires, sous couvert de barbouzes, trafiquants et autres aventuriers, dans lesquelles Paul Barril, toujours lui, est très impliqué. Selon Le Parisien du 24 janvier 2013, le juge Trévidic aurait saisi des documents chez Paul Barril qui confirmeraient le contenu de cette opération. Une lettre du ministre de la défense rwandais datée du 27 avril 1994, l’aurait chargé de recruter 1000 hommes :
« C’est une lettre de quelques lignes, tapée à la machine. Signée par Augustin Bizimana, le ministre de la Défense rwandais, elle est adressée « au Capitaine Paul Barril ». « Monsieur,… la situation dans mon pays devient de plus en plus critique… Vu l’évolution actuelle du conflit, je vous confirme mon accord pour recruter, pour le gouvernement rwandais, 1000 hommes devant combattre aux côtés des Forces Armées Rwandaises. » La missive insiste sur « l’urgence » de la requête. Elle est datée du 27 avril 1994." [...] "L’été dernier, à la demande du juge Trévidic, une série de perquisitions menées chez Barril et auprès de son entourage ont permis de mettre la main sur des documents accablants. Outre la demande de 1000 mercenaires, les enquêteurs ont récupéré des factures d’armes, de munitions et d’hommes, liées à « un contrat d’assistance » passé entre Barril et le gouvernement rwandais et daté du 28 mai 1994. Cartouches, obus, mortiers, grenades… le montant global dépasse les 3 M$".
Tout du long, le gouvernement et Mitterrand nieront le génocide. Le 10 mai 1994 (vidéo disponible sur le site de l’INA), Mitterrand ne parlera que de l’avion présidentiel abattu et de la pénétration du FPR, pas un mot sur le génocide, malgré les remarques des journalistes… (« Monsieur le président, 200 000 morts quand même… »), et on n’est que début mai ! Le journaliste du Figaro Patrick de Saint-Exupery rapportera plus tard (janvier 1998) le point de vue du président : « Dans ces pays-là, un génocide, ce n’est pas trop important ».
A partir du 22 juin, sous couvert d’une résolution de l’ONU, l’opération Turquoise commence. Au-delà de la mission humanitaire fixée par le Conseil de Sécurité, son rôle est multiple :
« il s’agissait de combattre le FPR et de reprendre la capitale pour y réinstaller au pouvoir le gouvernement soutenu par Paris » déclare le 8 avril au Monde un ex-capitaine de l’opération. Il s’agit bien en fait d’empêcher le FPR de prendre le pouvoir, alors qu’il est déjà aux portes de Kigali, qui sera malgré tout prise le 4 juillet. Il y aura d’ailleurs des combats directs entre le FPR et les forces de Turquoise entre le 2 et le 20 juillet.
Il s’agit d’inciter les FAR à « rétablir leur autorité », alors qu’elles sont, aux côtés des milices Interahamwe le bras exécutant du génocide. Il s’agit ainsi de tenter de retrouver un équilibre face au FPR pour arriver à une supposée « réconciliation nationale ».
Au final, Turquoise va permettre l’exfiltration des génocidaires, avant tout vers le Congo, via la création d’une dite « zone humanitaire sûre ». Y compris, tout l’armement récupéré dans le désarmement des milices par Turquoise sera remis aux résidus des FAR en fuite vers les camps du Congo.
L’opération s’achève fin août, le vrai bilan est clair. Défense jusqu’au bout des génocidaires, jusque dans les camps de l’est Congo. Négation du génocide. Empêchement d’une prise rapide de Kigali, qui aurait permis au nouveau gouvernement d’empêcher la fuite des responsables ; c’est une des causes de la suite des événements dans les camps, et de la nouvelle catastrophe qui s’y rédoulera.

L’implication de la France impérialiste

Elle est totale, malgré toutes les dénégations, malgré toutes les expressions outragées. Chaque année apporte son lot de révélations, lézarde un peu plus les arguments fallacieux des gouvernements français successifs. Les journalistes demandent aujourd’hui à Taubira (ministre de la justice) et Le Drian (ministre de la défense) d’ouvrir les dossiers et d’autoriser les militaires à parler, c’est bien le moins !
Plus personne ne peut dire qu’on ne sait pas, que c’est bien compliqué, qu’il faut renvoyer les parties dos à dos. Depuis vingt ans, les enquêtes minutieuses de plusieurs journalistes apportent preuve sur preuve, à la fois de l’horreur du génocide, et de l’implication de la France à tous les moments, à tous les échelons… Un jour viendra où l’impérialisme français sera explicitement en accusation !
Le conflit du Rwanda a été « géré » en France par un gouvernement de cohabitation, avec Mitterrand comme Président, Balladur comme premier ministre et Juppé comme ministre des Affaires étrangères. Aujourd’hui, main dans la main, unis par le sang des victimes, PS et UMP jouent les indignés face aux accusations de complicité. C’est pourtant l’exacte vérité.
Les relations avec le Rwanda de Kagame ne sont pas au beau fixe, et vu l’histoire, on ne peut pas s’en étonner. Par ailleurs, celui-ci n’est pas un personnage particulièrement recommandable et traîne aussi à ses basques vingt ans de massacres et de pillages dans l’est congolais (voir encadré). Mais concernant le génocide de 1994, les choses sont assez claires, et relativement au génocide et au racisme ethnique, le FPR a toujours été du bon côté. Le gouvernement rwandais a publié le 5 août 2008 un communiqué faisant la synthèse d’un rapport d’une commission d’enquête (le rapport Mucyo) sur l’intervention de la France au Rwanda. Ce communiqué (de même que l’intégralité du rapport) a été quasiment interdit de publication en France (on le trouve sur le site« La nuit rwandaise ») fait un résumé assez complet et sérieux de l’ensemble des informations connues, même s’il est contesté sur certains aspects qui restent à la marge. Depuis, d’autres révélations sont venues conforter ce rapport.
Neuf hauts militaires se saisiront de ce communiqué et de ce rapport pour attaquer en justice la revue « La nuit rwandaise » et le Nouvel Obs qui les avaient mis en ligne. Le Nouvel Obs, fidèle défenseur du PS, avait plaidé la nullité et donc l’abandon des poursuites, ce qui a été validé en appel fin mars. « La nuit rwandaise » avait de son côté accepté le procès en proposant des « offres de preuves » pour justifier, sur le fond, les accusations du rapport Mucyo. La manœuvre juridique va empêcher cette mise au public de la réalité de l’intervention impérialiste, mais ce n’est que partie remise !
Les outrances des discours de Kagamé ont donc un fondement principalement juste, c’est la réalité mise à jour par le rapport Mucyo. L’indignation immédiate de Hollande, Juppé, Quilès et autres Védrine, l’annulation du déplacement de Taubira pour les cérémonies du 20ème anniversaire ne sont qu’une tentative désespérée de plus de masquer les vraies responsabilités, militaires, politiques et idéologiques de la Françafrique soutenue par le PS comme par l’UMP !

Pour en savoir plus :

- Jean-Pierre Gouteux – « La nuit Rwandaise », ou sa version condensée « Un génocide sans importance ».
- Patrick de Saint-Exupery – « Complices de l’inavouable, la France au Rwanda ».
- Jean Hatzfeld – « Dans le nu de la vie », « Une saison de machettes » et « La stratégie des antilopes ».
- Colette Braeckman – « Histoire d’un génocide », « Rwanda Mille collines, mille traumatismes ».

 

On consultera avec profit le site de la revue « La nuit rwandaise » et on trouvera également sur le site de l’association Survie une campagne autour des 20 ans du génocide.

 

Annexe 1 : « Qui est Kagame ? »

 

Kagame est le président actuel du Rwanda. Elevé en Ouganda, sa famille ayant fui les persécutions contre les Tutsis, il participe au renversement d’Idi Amin Dada. Formé militairement en Ouganda, il participe à la création du Front Patriotique Rwandais (FPR) à la fin des années 80.
Après plusieurs offensives bloquées par l’armée rwandaise soutenue par l’armée française, le FPR prend le pouvoir à Kigali le 4 juillet et met fin au génocide.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. L’opération Turquoise a permis la fuite des résidus des FAR et des milices fascistes Interahamwe dans les camps de l’est Congo, qui en prennent le contrôle et poursuivent les massacres (Médecins sans Frontières quittera d’ailleurs les camps pour cette raison en novembre 1994). Le nouveau gouvernement rwandais et les FPR interviennent donc alors au Congo, d’abord pour pourchasser les miliciens, et créer une sorte d’une zone tampon de protection.
L’occupation devient permanente, les accrochages réguliers, et une économie parallèle se met en place. A partir de la fin des années 90, Rwanda et Ouganda exploitent massivement les matières premières de l’Est congolais, avec l’aide de milices locales et des rébellions qui se morcellent en conflits locaux et intérêts de plus en plus inextricables, en l’absence de pouvoir d’Etat. Le Rwanda est ainsi devenu exportateur de matériaux qui n’existent pas sur son territoire !!! Or (29 M$ par an), diamants (40 M$), coltan (240 M$, toutes les mines sont contrôlées plus ou moins indirectement par le Rwanda), étain, c’est d’un pillage en règle qu’il s’agit sous couvert de trafiquants, aventuriers et autres miliciens, accompagné de son cortège de massacres.
Kagame est dans le collimateur des grandes puissances, et il sait habilement jouer du génocide de 1994 et du rôle de la France impérialiste pour se poser en victime et en démocrate. Il ne faut évidemment pas être dupe ! Mais pas non plus jeter le bébé avec l’eau du bain et se tromper sur le génocide de 1994 au nom de ce qui s’est ensuite produit…

 

Annexe 2 : « Qu’est-ce qu’un génocide ? » - tiré de la brochure de VP.

 

Un génocide, c’est la volonté délibérée et programmée d’un Etat d’éradiquer un groupe particulier de personnes ; le génocide se caractérise par le souci de ne laisser survivre ni vieillard, ni nourrisson, l’enfant à naître est vécu par les génocidaires comme une menace de perpétuation de l’espèce et, en tant que tel, à exterminer. L’idéologie génocidaire se caractérise par la déshumanisation des membres du groupe visé, assimilés à des animaux nuisibles (rats, cafards, serpents, …) et par la dissimulation de l’entreprise génocidaire. Cette dissimulation passe par l’emploi d’euphémismes pour désigner les victimes (les nazis appelaient les convois de Juifs "la marchandise") ou l’acte génocidaire lui-même (pour les génocidaires rwandais il s’agissait de "travailler", pour les SS des camps nazis de "traiter la marchandise"). Cette dissimulation trouve son prolongement dans les discours négationnistes.

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