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Ukraine : entretien avec un syndicaliste révolutionnaire

Partisan N°276 - été 2014

Voici quelques extraits d’un long texte – 24 pages – publié par la revue Echanges (n° 246), « traduction d’un entretien entre un camarade ukrainien et un camarade tchèque », Denis faisant partie du Syndicat ouvrier autonome de Kiev, organisation ouvrière anarcho-syndicaliste. Les sous-titres sont de Partisan.

Revendication initiale et revendication centrale (p. 4)

Revendication initiale : la ratification par le gouvernement ukrainien du traité conduisant à l’admission de l’Ukraine dans l’Union européenne. Pourtant, rapidement cette revendication a été remplacée par une autre, celle de renverser le président Ianoukovitch, son gouvernement et un appareil d’Etat corrompu.
Les gens ont une vision très particulière de l’Europe. Ils y voient une société très utopique – une société sans corruption, avec des salaires élevés, une sécurité sociale, le règne de la loi, des politiciens honnêtes, des visages souriants, des rues propres, etc – et appellent cela l’UE. Et quand on essaie de leur dire que l’UE n’a actuellement rien à voir avec cette vision idyllique, que présentement des gens en Europe brûlent des drapeaux européens et protestent contre l’austérité, etc, ils répliquent : « Préféreriez-vous vivre en Russie ? ». Depuis le début les protestations sont bien orientées par la fausse conscience d’un « choix de civilisation », par le modèle nationaliste qui ne laisse aucune place à des revendications de classe. C’est le résultat d’une hégémonie culturelle bourgeoise, et c’est le principal problème de la lutte que nous devons mener dans le pays dans les prochaines années.

Les politiciens bourgeois (p. 4, note 3)

La biographie des politiciens qui s’affrontent dans les arènes du pouvoir est une sorte de copier-coller : ils ne sont que les hommes de paille des oligarques qui sont les véritables maîtres de l’économie de l’Ukraine et qui peuvent avoir des intérêts divergents, ce qui s’exprime dans les positions politiques de leurs marionnettes. Portés au pouvoir, ils finissent par l’utiliser à des fins personnelles, s’enrichissant, perdant toute mesure au point de se discréditer et d’être éliminés par leurs sponsors mêmes.

« Avantages sociaux » de l’ex-URSS (p. 6)

Le salaire moyen mensuel de 290 euros, moins que la moyenne chinoise actuelle, et le salaire minimum légal de 91 euros mensuels au 1er décembre 2013 (0€,55 de l’heure), doivent être replacés dans le contexte de la survie des avantages sociaux hérités de l’URSS. Globalement, tous ces services sociaux étendus ont été maintenus (souvent propriété des syndicats qui sont les seconds propriétaires immobiliers d’Ukraine après l’Etat). Mais on ne peut connaître leur niveau de fonctionnement et d’efficacité ; nul doute qu’ils ne jouent pourtant un rôle dans l’acceptation de bas salaires. C’est aussi vrai dans le domaine de l’éducation (95% de fréquentation scolaire) et dans ceux de la santé, des vacances d’entreprise, ou des maisons de retraite... Une des preuves de ce rôle serait l’obstination du FMI à demander leur élimination, privatisation, réforme... et l’obstination des dirigeants à ne pas suivre ces « recommandations »...

La peste ou le choléra... (p. 10)

L’intégration dans cette Union douanière (avec la Russie) offrirait une opportunité pour renouer une coopération avec les industries high-tech russes, liens qui furent brisés en 1990. Eventuellement cela pourrait amener un renforcement de l’économie mais avec un coût terrible non seulement pour les travailleurs mais aussi pour la bourgeoisie ukrainienne. Notre bourgeoisie nationale est beaucoup plus faible que sa contrepartie russe et l’intégration dans l’union douanière signifierait son extinction.
Objectivement, le scénario optimum d’une économie ukrainienne serait de continuer la vieille politique de « neutralité » géopolitique sans une intégration décisive dans les structures de l’Ouest et de l’Est. Tout « choix » serait un coup sévère porté aux exportations ukrainiennes et au bien-être de la population. La seule question est : pendant combien de temps une telle neutralité pourrait-elle être maintenue ? Il semble que la Russie autant que l’UE voudraient que l’Ukraine cesse de tergiverser et prenne finalement position.

Les fascistes : minoritaires (p. 14, p. 16)

Encore maintenant, les plus nombreux soutiens du nationalisme et des forces d’extrême-droite ne sont pas prolétariens. C’est l’intelligentsia et les étudiants qui restent la base de ce soutien. Il s’ensuit néanmoins que la « démocratisation » de la composition de classe des protestataires amène un affaiblissement des nazis et non leur renforcement.
Le nombre réel des militants d’extrême-droite n’est pas si grand, il est même minuscule comparé à la foule qui parfois a rassemblé plus de 100 000 manifestants. Alors que le potentiel de mobilisation des fascistes est approximativement de 1000 à 2000. Mais avant tout, leurs idées sont bienvenues dans une foule apolitique. Ensuite, ils ont très bien organisés et une bonne partie des gens aiment leur « radicalisme ». Un travailleurs ukrainien hait la police et le gouvernement, mais il ne risquera jamais son confort en les combattant ouvertement. Alors lui ou elle accueillent « l’avant-garde » qui est prête à combattre à leur place... L’atmosphère générale est patriotique, même nationaliste, mais bien des gens ne soutiennent pas les nazis et les considèrent comme des provocateurs.

Les partis politiques (p. 17, p. 21)

Les libéraux parlementaires tentent de se déguiser en populistes de gauche. Toute autre position en pourrait leur assurer un soutien dans la classe ouvrière. De plus chaque force politique parlementaire a une aile libérale de droite qui parle toujours d’austérité et de réforme, et une aile gauche populiste qui demande plus d’intervention du gouvernement en faveur de la population appauvrie. Les premiers tiennent le haut du pavé quand leur parti est au pouvoir, et les seconds prennent le pas quand leur parti est dans l’opposition ou en période électorale. Ce qui entraîne ces partis de la bourgeoisie à de ridicules manoeuvres.
Au cours des vingt dernières années, les politiques sociétales de l’Etat étaient aux mains des nationalistes. Et ils ont fait qu’une génération a été élevée qui n’a vu aucun problème à proclamer « L’Ukraine aux Ukrainiens » avec la notion d’un « réservoir génétique de la nation ».
Au cours des deux mois d’existence et de lutte, les participants de Maïdan n’ont pas créé leur propre organisation distincte de prise de décision. Pourquoi ? Les partis d’opposition ne sont pas vraiment populaires parmi les gens de Maïdan ; ils sont considérés comme des opportunistes poursuivant leurs propres intérêts et prêts à trahir le mouvement de protestation. Mais ils continuent à gérer toutes les infrastructures de Maïdan et sont les seuls à prendre des décisions.

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