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Partisan Magazine donne la parole aux révolutionnaires afghanes

Partisan Magazine N°20 - Décembre 2022

Interview de Maryam Rawi, représentante de RAWA, réalisé pour Partisan Magazine le 10 octobre 2022, dans le cadre d’une tournée en France

Egalement en anglais : http://ocml-vp.org/article2382.html

Déraciner le fondamentalisme et lutter contre leurs maîtres impérialistes pour un Afghanistan libre, laïc et démocratique !

L’interview à télécharger au format pdf ci-contre


Qu’est-ce qui a changé en Afghanistan depuis 2000 et 20 ans ?

Eh bien, après le 11 septembre, lorsque les États-Unis et les troupes de l’OTAN ont envahi l’Afghanistan, envoyé leurs troupes militaires et commencé à établir leurs bases en Afghanistan, tout cela s’est fait avec le soutien des djihadistes fondamentalistes, en particulier l’Alliance du Nord. Nous avons toujours dit que la lutte contre la terreur et la lutte contre le fondamentalisme ne serait pas possible en s’appuyant sur un autre groupe fondamentaliste. Ce que les États-Unis et l’OTAN ont fait en Afghanistan lorsqu’ils ont envahi notre pays, c’est justifier leur présence militaire en utilisant les faux slogans de la guerre contre le terrorisme, des droits des femmes et de la démocratie. Mais en pratique, ils ont soutenu et amené au pouvoir les djihadistes criminels les plus corrompus. C’est pourquoi, au cours des 20 dernières années, la vie du peuple afghan ne s’est pas améliorée. Il n’y a eu aucune amélioration de la situation sécuritaire, de la sécurité des femmes ou du développement économique. L’Afghanistan a reçu des millions de dollars d’aide du monde entier. Mais malheureusement, cette aide a rempli les poches des seigneurs de la guerre, des hauts dirigeants du gouvernement, des dirigeants fondamentalistes, des terroristes et des criminels. Les milliards de dollars d’aide ont fait de l’Afghanistan l’État le plus corrompu et le plus rongé par la drogue au monde. Ces 20 années ont également fourni une excellente occasion aux trafiquants de drogue et à la mafia de devenir le plus grand producteur d’opium au monde.

Et bien sûr, cela n’a été possible qu’avec le soutien des États-Unis, car ils sont entrés en Afghanistan sous le slogan de la lutte contre le terrorisme. Entre-temps, la police, l’armée, l’administration, le système qu’ils ont mis en place en Afghanistan était extrêmement corrompu et dirigé par des mafieux. Et de toute évidence, le gouvernement américain et les entrepreneurs privés de l’armée en ont largement profité.

Sahar Saba nous expliquait en 2002 qu’à chaque changement de régime le peuple afghan espérait une amélioration de son sort et était à chaque fois déçu, d’abord avec par le départ de l’armée soviétique puis en 2001 par l’intervention américaine. Quelle est votre évaluation aujourd’hui du retrait de l’armée impérialiste américaine ?

Eh bien, je pense qu’au cours des 40 dernières années, l’Afghanistan a toujours été en guerre, directement ou indirectement, que ce soit sous l’occupation de l’ancienne Union soviétique ou de leurs régimes fantoches. Khalq et Parcham, les deux factions soutenues par les Soviétiques au gouvernement (NdT : des factions du PC Afghan), ont commis de nombreux crimes et violations des droits de l’homme. Ils ont tué des dizaines de milliers de personnes, arrêté et exécuté des militants progressistes, des marxistes, des maoïstes et les dirigeants de nombreux groupes et organisations révolutionnaires ont été tués. Dans le même temps, les États-Unis soutenaient les fondamentalistes islamiques et les organisations terroristes par l’intermédiaire des services de renseignement pakistanais et du financement de l’Arabie saoudite. La CIA injectait des millions de dollars pour leur soutien politique et militaire afin qu’ils puissent ensuite lutter contre les Soviétiques. N’oublions pas que les gouvernements européens, y compris le gouvernement français, étaient directement impliqués sous le drapeau de l’OTAN et ont envoyé leurs forces militaires et établi leurs bases en Afghanistan pour satisfaire leurs propres intérêts et mettre en œuvre leurs politiques.

Ces 20 années ont également fait de l’Afghanistan un terrain d’essai, où l’armée américaine a testé ses armes et explosifs les plus puissants et les plus dangereux. Par exemple, la célèbre « Mère de toutes les bombes » (NdT : bombe à effet de souffle massif), considérée comme la plus puissante bombe non nucléaire, a explosé en 2017 dans la province de Nangarhar, tuant de nombreux innocents. On rapporte que des terres ne sont plus cultivables et que de nombreux enfants sont nés avec des malformations congénitales jamais vues auparavant. Mais bien sûr, ces gouvernements occidentaux ne se soucient pas de ce qui arrive au peuple afghan. La vie du peuple afghan n’a aucune valeur. Leur implication ne vise qu’à protéger leurs propres agendas et leurs propres intérêts. Aujourd’hui, nous voyons que la Russie et la Chine utilisent également l’extrémisme religieux comme leur allié le plus important pour lutter contre les mouvements et organisations démocratiques, progressistes, laïques et de gauche. C’est la raison pour laquelle l’implication de l’impérialisme américain n’a apporté que misères, douleurs et tragédies aux Afghans. Les 100 ans d’impérialisme américain sont la preuve que partout où ils ont envahi, interféré ou occupé, il en est résulté une dictature, un bain de sang, une guerre et une destruction totale et complète de l’économie du pays.

Depuis les premiers jours où les pilleurs et les tueurs de l’Alliance du Nord ont été réinstallés au pouvoir en 2002 jusqu’aux derniers soi-disant pourparlers de paix, accords et arrangements à Doha et la libération de 5000 terroristes des prisons en 2020/21, il était évident que les Talibans allaient revenir au pouvoir. Toutes les puissances impérialistes envahissent des pays pour leurs propres intérêts stratégiques, politiques et financiers, mais par le biais de mensonges et des puissants médias officiels, elles tentent de cacher leurs véritables motifs et agendas. Tout a été fait selon un accord pour remettre l’Afghanistan aux Talibans. Le gouvernement américain négociant avec le Pakistan et d’autres acteurs régionaux s’était mis d’accord pour former un gouvernement composé principalement de Talibans. Les soldats n’étaient donc pas prêts à se faire tuer dans une guerre dont ils savaient que le peuple afghan n’en tirerait aucun avantage, car finalement, l’accord a été conclu à huis clos pour amener les Talibans au pouvoir. Zalmay Khalilzad (NdT : diplomate américain d’origine afghane, membre de l’administration Bush) est tout à fait détesté par le peuple afghan en raison de son rôle de traître dans le retour au pouvoir des Talibans.

Quelle est l’attitude des concurrents des États-Unis, les impérialismes russe et chinois ? La Turquie, l’Iran et le Pakistan ? Qu’en est-il d’eux ?

Chacun de ces pays a ses propres intérêts et ses propres agendas en Afghanistan. Mais parmi eux, bien sûr, tout le monde connaît le rôle de la CIA en Afghanistan. Vous connaissez peut-être le livre de Robert Dreyfuss, ‘Devil’s Game’ (paru en 2006), qui parle de la relation étroite entre la CIA et les fondamentalistes afghans, qu’il qualifie de secret de polichinelle. Cependant, le monde ne sait pas grand-chose de l’implication profonde du régime iranien pendant toutes ces années. Nous partageons la même langue, la même religion des minorités Hazara et ce sale régime théocratique a toujours soutenu les fondamentalistes islamiques en Afghanistan. Ils ont de nombreux intellectuels, écrivains et poètes à leur solde qui réclament sans vergogne un système fédéral et même une balkanisation en raison du génocide actuel des Hazaras. Cependant, nous pensons que ces inimitiés interethniques et interreligieuses ne sont qu’alimentées par ces puissances étrangères pour que les Afghans restent toujours désunis. Au contraire, si nous regardons l’histoire de l’Afghanistan, différentes ethnies et religions ont vécu en paix et en harmonie pendant des centaines d’années et cela a toujours été utilisé par les colonisateurs britanniques, plus tard les Soviétiques et aujourd’hui l’impérialisme américain et la théocratie iranienne pour "diviser et gouverner".

RAWA croit que seule une nation unie, indépendamment de ses origines religieuses ou ethniques, où tout le monde est considéré et traité sur un pied d’égalité, est capable de s’élever contre le fondamentalisme islamique et de lutter pour la liberté et la démocratie.

La Turquie s’est beaucoup impliquée dans le soutien du système corrompu au cours des 20 dernières années en dirigeant des agences d’aide et des écoles. Leurs écoles ont formé une génération d’étudiants d’élite et instruits mais extrêmement religieux et conservateurs. La nature du régime d’Erdogan est assez évidente quand on voit ce qu’il fait contre les révolutionnaires épris de liberté en Turquie et il applique la même politique en Afghanistan, sous la belle bannière de l’aide et du soutien humanitaires. Le soutien du Pakistan aux Talibans est évident depuis 40 ans et le pays a toujours fourni un refuge à la majorité de ces fondamentalistes, qui sont nés et ont été formés par les services secrets pakistanais. Mais aujourd’hui, le rôle de la Russie et de la Chine est très important. Malheureusement, la Chine, tout au long de la période soviétique, a soutenu les fondamentalistes. On dit même que la Chine a officiellement accueilli Gulbuddin Hekmatyar pendant la guerre soviétique et que, pendant toutes ces années, elle a entretenu des liens secrets avec ces groupes fondamentalistes en les considérant comme des champions de la guerre contre l’Union soviétique, plutôt que comme des radicaux purs et durs.

À quoi avons-nous affaire aujourd’hui ? La Russie et la Chine veulent aujourd’hui nouer des liens avec les Talibans pour lutter principalement contre les États-Unis. Je peux donc dire simplement que l’Afghanistan se transformera tôt ou tard en un champ de bataille entre l’impérialisme américain d’un côté et la Chine, la Russie et l’Iran de l’autre. Les États-Unis ne quitteront jamais l’Afghanistan car ils ont toujours des racines et des intérêts très forts et profonds dans notre pays et l’utilisent contre la Chine et la Russie. Ils soutiennent désormais pleinement Daech en Afghanistan afin de créer une nouvelle organisation terroriste au cas où les Talibans deviendraient des vendus, et en particulier dans le nord de l’Afghanistan afin de les utiliser comme une menace pour la Russie. Les gouvernements russe et chinois sont prêts à conclure n’importe quel accord honteux avec les Talibans, tant qu’ils répondent à leurs propres motivations et intérêts.

Où en est Rawa dans le pays ? Est-il possible d’y séjourner ? Dans quelles régions intervenez-vous ? Quelles sont vos activités ? Scolarisation, réfugiés, aide, mobilisations, réunions clandestines ? Est-il possible d’expliquer ?

RAWA a été fondée par notre leader Meena en 1977, celle-ci a ensuite été assassinée par les fondamentalistes et les pro-soviétiques du KHAD (NdT : services secrets afghans). Elle a été principalement formée et établie comme une organisation politique de femmes. C’est pourquoi nous disons que nous sommes le premier groupe politique et féministe en Afghanistan qui a émergé avec un message très clair et fort de lutte non seulement contre l’occupation mais aussi contre le fondamentalisme et l’extrémisme religieux. Dès le début, le slogan de RAWA était l’indépendance vis-à-vis de l’occupation étrangère et la rupture des chaînes fondamentalistes dans une société féodale et très dominée par les hommes. Nous avons commencé en tant que groupe indépendant de femmes et nous pensions que la discrimination et les abus à l’encontre des femmes ne pouvaient être combattus qu’en changeant le système politique. C’est pourquoi nous nous sommes qualifiées de "révolutionnaires", car nous voulions un changement politique profond. Nous demandons un système laïque et démocratique qui puisse garantir la justice sans distinction de sexe, d’ethnie ou de religion. Lutter pour la démocratie laïque en Afghanistan nous a valu d’être qualifiés d’"infidèles" par les groupes fondamentalistes.

Mais RAWA a utilisé tous les moyens possibles pour éduquer les femmes à travers différents programmes, en organisant des réunions et des manifestations dans les écoles et les universités dans les années 70. Jusqu’à présent, nous utilisons tous les moyens possibles pour communiquer avec les femmes, les mobiliser et les organiser, en commençant par les éduquer. Lorsque nous parlons d’éducation, nous commençons généralement par des cours littéraires de base et, avec le temps, nous les informons de la situation sociale et politique et élevons leur conscience politique. Il est important pour elles d’être confiantes et autonomes et de se considérer comme égales aux hommes. Depuis que les Talibans ont fermé les portes des écoles pour les filles, RAWA a commencé des cours à domicile pour les filles et les femmes afin de leur donner la possibilité d’apprendre l’anglais, les mathématiques et différents sujets scientifiques. Nous gérons activement des écoles et des classes, mais aucune d’entre elles ne peut être gérée sous le nom de RAWA. Les manifestations, les réunions publiques pour différentes occasions, les projets humanitaires tels que les projets d’éducation, les écoles, les orphelinats et les équipes mobiles de soins de santé ne sont jamais réalisés ouvertement sous le nom de RAWA. Même les membres de RAWA comme moi qui apparaissent en public, font des interviews et donnent des discours, nous n’utilisons jamais nos vrais noms et ne nous laissons pas photographier. Nous ne devons pas être reconnues parce que nous sommes basées et travaillons en Afghanistan et c’est une des façons de nous protéger de ces fondamentalistes Jehadi et maintenant des Talibans.

Y a-t-il des forces démocratiques sérieuses en Afghanistan avec lesquelles vous pouvez travailler plus ou moins ouvertement ? Que pensez-vous de Zarifa Ghafari (ancienne maire de Maydan Shahr), dont on parle beaucoup dans les médias ?

Il existe quelques groupes démocratiques, mais comme je vous l’ai dit, ces groupes démocratiques et progressistes en Afghanistan sont très faibles car ils ont été persécutés des deux côtés, d’abord par le régime pro-soviétique, puis par les groupes fondamentalistes pro-US. Il existe une longue liste de politiciens, de poètes, d’écrivains, d’artistes et de marxistes qui ont été assassinés ou arrêtés chez eux et ont disparu sans laisser de traces. Leurs mères, sœurs, fiancés, épouses et enfants attendent toujours leur retour car ils ne peuvent jamais le croire, ils n’ont jamais vu leurs cadavres. L’un de leurs assassins est Gulbuddin Hekmatyar, connu sous le nom de "boucher de Kaboul", et ses mains sont tachées du sang d’innombrables jeunes, démocrates, brillants intellectuels et militants. Ces groupes n’ont jamais eu l’opportunité, comme RAWA, de travailler ouvertement. C’est pourquoi aujourd’hui, si nous observons le scénario politique en Afghanistan, malheureusement, les fondamentalistes se renforcent chaque jour parce qu’ils bénéficient du financement et du soutien international, et ces groupes démocratiques et révolutionnaires s’affaiblissent chaque jour. Cependant, certaines organisations sont toujours présentes et travaillent en Afghanistan, comme le Parti de la solidarité d’Afghanistan (SPA) et l’Organisation de libération de l’Afghanistan (ALO), une organisation marxiste-léniniste.

Le slogan de RAWA a toujours été que tous les mouvements révolutionnaires, démocratiques et progressistes devraient s’unir pour former un front fort en obtenant le soutien des masses d’Afghanistan, en particulier des opprimés, de tout le pays. Ils devraient s’unir pour lutter contre l’occupation étrangère et le fondamentalisme, et nous espérons que cela se produira un jour comme cela se produit en Iran aujourd’hui. La seule issue à la crise afghane est un soulèvement uni des masses afghanes, hommes et femmes compris. Des personnes comme Zarifa Ghafari et de nombreuses autres femmes ont fait l’objet d’une grande publicité et sont présentées comme les dirigeantes de l’Afghanistan. Malheureusement, elles n’ont jamais été indépendantes, elles sont en quelque sorte soutenues par les gouvernements occidentaux et représentent ces derniers.

Dans le site Wikileaks, on trouve de nombreux documents secrets sur l’Afghanistan. L’un des documents intéressants est que les gouvernements européens ont proposé en 2002-2003 que de nouveaux visages féminins afghans soient introduits au sein du nouveau gouvernement. C’est ainsi que plusieurs femmes ont été promues par les médias occidentaux et soutenues par les gouvernements occidentaux. Elles sont devenues célèbres, ont reçu des prix et sont toujours très populaires. Elles ont occupé des postes importants dans le gouvernement de Karzaï. Toutefois, à cette époque, l’ensemble du gouvernement était sous le contrôle direct de la CIA. Et c’était l’un de leurs principaux objectifs que de nommer des femmes à des postes de direction. L’objectif principal était de faire croire au monde que les États-Unis avaient apporté la démocratie et l’égalité des sexes en Afghanistan en installant quelques poupées au parlement. Zarifa Ghafari a malheureusement été choisie comme Femme internationale du courage en 2020 par la secrétaire d’État américaine, ce qui, à notre avis, est une récompense très symbolique.

Malheureusement, la plupart des femmes comme Fawzia Koofi, Shukria Barakzai, Habiba Sarabi, Naheed Farid, Shaharzad Akbar, Mary Akrami et plusieurs autres sont mises en avant par les médias occidentaux et ont été invitées à participer à de nombreuses réunions et rencontres importantes sur l’Afghanistan ici en Europe, mais elles ne représentent pas les vraies femmes afghanes car elles n’ont jamais pris part à la lutte contre le fondamentalisme et l’impérialisme, qui sont leurs principaux ennemis.

Quel est votre appréciation des réfugiés qui quittent le pays, qu’il s’agisse de réfugiés économiques ou de ceux qui se sont exilés suite au retour des Talibans ? Est-il difficile de partir ? Est-ce que cela coûte cher de partir ? Quelle est la différence entre les deux types d’exil ? Espèrent-ils revenir ?

Eh bien, je pense que l’horrible scène de l’aéroport après le 15 août 2021 a été une grande tragédie, voir des gens se suspendre aux avions militaires au prix de leur vie juste pour fuir l’Afghanistan était très douloureux. Mais cela prouve l’ampleur du chaos créé par les Etats-Unis, et la plupart des gens pensent que si les Etats-Unis quittent l’Afghanistan, la vie s’arrêtera ici. L’Afghanistan a subi une énorme fuite des cerveaux lorsque les États-Unis ont décidé d’évacuer certains des individus les plus brillants, les plus qualifiés, les plus instruits et les plus jeunes. Bien sûr, pour autant que nous le sachions, la majorité de ces personnes ont quitté l’Afghanistan en raison de la situation économique et politique et savaient qu’avec les Talibans, la situation ne ferait qu’empirer.

Bien sûr, cela coûte cher et la majorité de ceux qui rejoignent les pays européens ou américains sont des élites, qui ont les capacités et les moyens financiers de quitter l’Afghanistan. La majorité des gens pauvres et misérables, même ceux qui ont travaillé avec les forces américaines, sont abandonnés derrière. De nombreux soldats de rang inférieur du gouvernement précédent, des officiers de police, des avocates, des juges, des enseignantes et des fonctionnaires qui ont travaillé et risqué leur vie en permanence n’ont pas pu quitter l’Afghanistan parce qu’ils n’avaient tout simplement pas d’argent. Nombre d’entre eux ont été menacés, attaqués et même tués dans l’anonymat.

Donc, une fois de plus, tout cela faisait partie d’un grand jeu joué par les gouvernements occidentaux pour se présenter comme les champions et les protecteurs des droits de l’homme. Cependant, nous n’y croyons pas car, même dans la plus petite décision qu’ils prennent, ils cherchent toujours leurs propres avantages.

Que pensez-vous de ces militants, notamment en France, qui font l’éloge du seigneur de guerre Massood parce que les Talibans l’ont tué en 2001 ?

Eh bien, je pense qu’il est très important d’en parler, surtout en France, parce que ce pays a été très actif, et probablement le plus grand soutien d’Ahmed Shah Massood, ce criminel fondamentaliste, depuis la guerre soviétique. S’il est devenu un héros aussi connu ou le "lion du Panjshir", c’est grâce au soutien militaire et technique direct qu’il a reçu du gouvernement français pendant la guerre antisoviétique. En outre, le gouvernement français a envoyé de nombreux journalistes, écrivains et réalisateurs de documentaires pour le rendre plus populaire. Cependant, ils ont toujours essayé de cacher le fait qu’il est l’un des dirigeants du parti Jamiat-e Islami, qui est un groupe fondamentaliste et terroriste, peu différent idéologiquement des Frères musulmans en Égypte. Outre le gouvernement français, ils ont également bénéficié du soutien financier et militaire direct de la CIA, de l’ISI (NdT : services secrets pakistanais), du Mossad et d’autres services de renseignement. Ahmad Shah Massoud et Gulbuddin Hekmatyar faisaient partie des rebelles formés par Naseerullah Babar, un éminent officier de l’armée pakistanaise. En 1975, Babar a formé des rebelles qui ont organisé le premier soulèvement dans la vallée du Panjshir. Cela prouve les liens très étroits qu’ils entretenaient avec leurs maîtres de l’ISI. Le Jamiat-e Islami et Massood lui-même étaient également proches de Gulbuddin Hekmatyar, du réseau Haqqani et d’Al-Qaeda. Je ne peux donc pas comprendre comment certains Français et même des gens de gauche peuvent le qualifier de démocrate ou de héros. Il est blanchi comme étant pro-femmes, progressiste et ouvert d’esprit alors qu’en réalité il a exactement la même mentalité et la même nature que celle d’autres éléments fondamentalistes et misogynes. Par exemple, il était contre la démocratie et les élections laïques, la considérant comme une idéologie "infidèle".

Il est même clairement mentionné dans son livre que sa femme n’a été vue par aucun étranger de sexe masculin. Cela ne fait que démontrer sa misogynie et son étroitesse d’esprit. Et maintenant, poursuivant la même mission, le gouvernement français joue le même jeu, présentant Ahmad Massoud, le fils d’Ahmed Shah Massood, comme le héros de la guerre contre les Talibans, comme la seule alternative, comme la seule issue, comme la seule option ou solution pour l’avenir de l’Afghanistan. Ils oublient qu’au début de la prise de pouvoir par les Talibans, Ahmad Massood était heureux d’avoir une part équitable dans le gouvernement. Il a d’abord exigé 50 % des sièges au sein du gouvernement taliban, puis plus tard, au cours des négociations, il s’est contenté de 30 %. Même si les Talibans lui donne maintenant des postes et des sièges, il sera heureux de les rejoindre. S’il combat maintenant les Talibans, c’est parce qu’il veut attirer l’attention de la CIA et des gouvernements européens pour recevoir davantage d’aide financière et militaire. Cette déclaration a également été citée dans le New York Times. Un représentant d’Ahmad Massoud aux États-Unis a contacté la CIA, demandant plus d’aide militaire pour combattre les Talibans. Il était également très proche de Qassem Soleimani, un chef militaire fondamentaliste iranien qui a été tué par les forces américaines en janvier 2020. On dit que son père, Ahmed Shah Massoud, avait des liens d’amitié et d’argent très étroits avec ce sale fondamentaliste. Tout cela prouve donc qu’il n’est pas différent des Talibans, qu’il est tout aussi misogyne, fondamentaliste, terroriste et à la solde des États-Unis, de la France et de l’Iran.

C’est très important de le rappeler. Quelles sont les forces politiques, évidemment clandestines, qui se battent pour un Afghanistan libre et démocratique, libre de toute ingérence étrangère ?

Comme je l’ai déjà mentionné, les mouvements progressistes existent. Ils travaillent de la même manière clandestine que RAWA. Ils sont faibles mais cela ne signifie pas qu’ils ont complètement disparu. Nous espérons qu’un jour ils seront renforcés, mobilisés et mieux organisés avec le soutien des masses. Et bien sûr, chacune d’entre elles a besoin du soutien de toutes les organisations internationales qui recherchent la justice, le progrès et l’amour de la liberté. Les forces anti-impérialistes, anticapitalistes et anticolonialistes devraient montrer leur solidarité et apporter un soutien direct aux groupes clandestins locaux en Afghanistan. De nombreux intellectuels et activistes politiques ont quitté l’Afghanistan, mais quelques groupes comme RAWA et plusieurs autres, sont restés en arrière et ont tenu leur engagement et leur promesse envers les masses les plus opprimées d’Afghanistan, de ne jamais les laisser seules et de se battre avec elles un jour. Cependant, c’est un moment très difficile et critique de l’histoire, et nous espérons seulement qu’un jour nous verrons des soulèvements glorieux de notre peuple, tout comme l’Iran aujourd’hui.

Justement, quelle est votre évaluation de la lutte des femmes en Iran et quel impact cela pourrait-il avoir sur la lutte en Afghanistan ?

Nous avons toujours été étonnés, inspirés et impressionnés par le courage de ces femmes et de ces hommes iraniens et par leurs luttes au cours de ces 40 années. Nous avons toujours dit que les femmes iraniennes ont toujours été en première ligne de la lutte contre le régime théocratique iranien et aujourd’hui, nous constatons que leur combat est couronné de succès contre le fondamentalisme islamique. Si l’on regarde l’histoire du militantisme féminin en Iran, la plupart des groupes de gauche, progressistes et révolutionnaires en Iran comptaient un grand nombre de militantes, les prisons iraniennes étaient toujours pleines de prisonnières politiques et pluieurs dirigeantes bien connues ont été tuées ou exécutées par la sanguinaire SAVAK (NdT : la police politique du Shah). Nous continuons à apprendre et à nous en inspirer. Pendant plus de 40 ans, le peuple iranien a été sous la domination tyrannique du régime islamique fondamentaliste. Aujourd’hui, ce sont surtout les femmes qui se sont levées et qui mènent le combat. Le soulèvement actuel des femmes iraniennes ne concerne pas seulement le Hijab ou le foulard, mais un changement politique profond. RAWA sera toujours à leurs côtés, les soutiendra, exprimera sa solidarité, et a même organisé une manifestation devant l’ambassade d’Iran à Kaboul sous les menaces extrêmement dangereuses des Talibans.
Nous avons quand même continué et scandé le même slogan que les activistes iraniennes : Femmes, vie, liberté. Une autre pancarte disait : Aujourd’hui l’Iran, demain c’est à notre tour de nous soulever contre le fondamentalisme islamique. C’était le moins que nous puissions faire pour nos sœurs iraniennes.

Dernière question : Quel soutien attendez-vous des forces démocratiques et anti-impérialistes dans le monde ?

Eh bien, pour le dire très brièvement, je pense qu’il faut sensibiliser le public, diffuser des informations correctes et vérifiées et mieux connaître la situation de l’Afghanistan, car je sais que la situation afghane est très compliquée et que les grands médias font un mauvais travail pour la décrire. Je vous conseille de faire attention à qui représente réellement le peuple afghan, car beaucoup d’entre eux sont liés d’une manière ou d’une autre au gouvernement et aux services secrets. Il est toujours préférable d’obtenir des informations directes et de première main auprès des organisations et des militants qui vivent en Afghanistan et d’organiser des campagnes de sensibilisation, des réunions publiques, des conférences, des manifestations, des événements culturels, etc. Notre peuple interpelle le gouvernement français lorsqu’il a donné le nom d’Ahmad Shah Massood à une rue (NdT : une allée parisienne en fait, en 2021), en disant qu’on le célèbre au lieu de le dénoncer et d’exposer sa véritable nature fondamentaliste et criminelle !
Malheureusement, nous n’avons vu aucune réaction de la part des groupes révolutionnaires ici en France. Et c’est la plus petite chose qu’ils peuvent faire pour le peuple afghan, dénoncer le nom de cette allée et demander son changement immédiat.

Notre organisation, RAWA, ne reçoit jamais de fonds de grandes organisations, d’ONG ou de gouvernements, mais a toujours compté sur les petits dons qui nous sont envoyés du monde entier et qui nous aident à faire entendre la voix des femmes afghanes. Les médias, y compris les médias sociaux, les interviews, les réunions, etc. devraient toujours mentionner que c’est votre soutien financier qui nous permet de continuer. De courtes visites comme celle que vous avez organisée pour moi sont également très importantes. Et nous espérons qu’à l’avenir, d’autres visites comme celle-ci seront organisées afin que nous ayons la possibilité d’amener nos membres, ce qui donnerait une image réelle et fidèle de l’Afghanistan, et non celle montrée par les médias français.

Merci beaucoup. Y a-t-il une question que nous n’ayons pas posée, importante pour vous ?

La chose la plus importante est que maintenant plusieurs gouvernements européens, en particulier le gouvernement français, parlent de l’établissement d’un gouvernement inclusif. Pour eux, le seul point négatif de l’administration actuelle des Talibans est qu’elle est composée uniquement de Pachtounes ! Même s’ils intègrent des femmes en burqa dans leur cabinet, ou des criminels parmi les Hazaras, les Tadjiks ou les Ouzbeks, la nature et l’essence des Talibans ne changeront jamais. Ils seront toujours fascistes, terroristes, fondamentalistes et misogynes par nature. Et la seule solution est de déraciner ce fondamentalisme et de lutter contre leurs maîtres impérialistes pour un Afghanistan libre, laïc et démo

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