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Livre : "Et l’évolution créa la femme"

Partisan Magazine N°23 - Juin 2024

"Et l’évolution créa la femme"
de Pascal Picq - Editions Odile Jacob 2023, 462 pages, 11,5€ en poche

L’objet du livre est bien résumé page 286 : « Poser la question des origines des sociétés matriarcales mais aussi des sociétés patriarcales qui, jusqu’à présent, n’ont jamais fait l’objet d’une véritable approche évolutionniste. Il faut ouvrir ce chantier, ce qui commence par la reconstitution de nos origines, de la préhistoire aux commencements de l’histoire et de la domination des sociétés patriarcales. C’est à cela que nous allons nous essayer. Petit préalable épistémologique : pour y parvenir, il faut mettre à contribution aussi bien les sciences humaines que les sciences de l’évolution, qui ont souvent du mal à coopérer. Or on ne comprendra pas l’histoire de la place des femmes dans les sociétés humaines, ni celle des rapports entre les femmes et les hommes, pas plus qu’on ne résoudra les discriminations dont elles sont victimes aujourd’hui, sans relier ces différentes perspectives. »

L’auteur est clair sur un point : l’existence d’un matriarcat originel est un mythe, basé sur la confusion entre matriarcat – domination économique et politique -, matrilinéarité – filiation maternelle-, et matrilocalité – les femmes restent toute leur vie dans leur famille, ce sont les hommes qui sont exogames.

Il dénonce une vision économiste de la révolution du néolithique – le développement de l’élevage et de l’agriculture. « Dans une perspective marxiste classique, écrit-il, l’invention de nouveaux modes de production et de richesse serait à l’origine des inégalités. Cela ne semble pas être le cas : ces transformations ont contribué à accentuer les inégalités dans l’histoire générale des sociétés humaines, mais elles n’en sont pas à l’origine » (p. 390). « Difficile de donner tort à Marx et Engels quand ils affirment que l’origine des discriminations sociales remonte à la division sexuelle des tâches, les femmes constituant la première des classes opprimées » (p. 292). Picq cite Marx et Engels une dizaine de fois pour leur donner raison sur ce point particulièrement, non sans les opposer au « marxisme classique » qui a occulté cette réalité.

La première partie du livre porte sur les singes, la seconde sur les humains. Picq entend « inscrire les recherches dans un cadre propre à chaque lignée et en comparaison avec les lignées les plus proches » (1). Ce « chantier » scientifique est d’après lui parsemé d’embûches : idées reçues, mythes, sexisme et mépris de classe ambiants… Il fournit une vision non linéaire de l’évolution, contraire à cette image d’une succession de mâles se redressant progressivement du singe jusqu’à l’homme moderne. La réalité est en forme de buisson, avec des branches de l’humanité qui s’épanouissent, se diversifient, et d’autres qui s’éteignent. « Quand émerge une innovation qui devient une adaptation avantageuse, on voit une lignée se diversifier. Puis arrive une période de sélection... » (p. 340).

Pourquoi l’animal humain, qui a acquis la plus grande adaptabilité, est-il aussi celui qui s’est montré, qui se montre encore, le plus violent, le plus sexiste, le plus destructeur ? Pascal Picq pose au fil des pages beaucoup de questions ponctuées de cette courte phrase : « On n’en sait rien ». La paléoanthropologie est une science récente, sa composante féministe encore plus, mais elles progressent à grand pas, et nous avons ici l’état actualisé de ce « chantier ».
Visite passionnante, donc, d’un « chantier » en cours. Vivement conseillée à qui veut militer pour le féminisme et le communisme.

(1) Itinéraire d’un enfant des Trentes Glorieuses, Pascal Picq, Flammarion, page 236.

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