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LIBYE : Parlons en termes de classes

Partisan N°248 - Juin 2011

En Tunisie et en Egypte, les révolutions étaient simples : le peuple d’un côté, manifestant pacifiquement ; un régime dictatorial de l’autre, organisant la répression sanglante, puis obligé de laisser tomber. En Libye, la situation est différente. Kadhafi est prêt au « bain de sang » ; Hugo Chavez et Fidel Castro le soutiennent au nom de l’anti-impérialisme ; et les insurgés, de leur côté, remercient chaleureusement Sarkozy...

Les contradictions sociales-démocrates

Tous les communistes révolutionnaires, même les trotskistes, ont condamné l’intervention militaire impérialiste (il y a eu débat dans le NPA). Mais peu évoquent le fait que le peuple libyen insurgé est demandeur, officiellement, de cette intervention.
Et ceux qui soutiennent cette ingérence impérialiste (le PS bien sûr, mais aussi le Front de Gauche, Mélenchon et le PCF) – peu habitués des soutiens à Sarkozy mais habitués des soutiens à l’ONU – ne mettent pas en avant, eux non plus, la demande d’intervention des insurgés eux-mêmes.
Le point commun des uns et des autres, des pour, réformistes, et des contre, révolutionnaires démocrates, c’est qu’il ne raisonnent pas en termes de classes. Notre organisation, au contraire, pose dès le départ (n° 245) : « Dans le combat démocratique, les exploités se retrouvent aux côtés de petits-bourgeois, voire de bourgeois ». Puis à propos de la Libye : « Les impérialistes veulent remplacer un allié imprévisible, incontrôlable, par un pouvoir fiable. Le rôle de cet allié local sera le même que celui de Kadhafi : fournir du pétrole, acheter des marchandises, et réprimer les travailleurs ».

Les contradictions au sein du peuple

Les travailleurs, ouvriers et employés, veulent pouvoir s’organiser et vivre ; leurs revendications sont vitales, et anti-capitalistes. Les bourgeois veulent la possibilité de faire des affaires sans la concurrence déloyale d’un clan qui s’accapare tous les droits. Et entre les deux, la petite-bourgeoisie veut la liberté en général.
Raisonnons donc en termes de classes. Même si le point de départ et le fond de la révolution est prolétarien, en l’absence de parti communiste, la direction est bourgeoise. Le 26 avril dernier, le premier ministre tunisien, Béji Caïd Esselsi a dénoncé les manifestations trop nombreuses qui « entravent le travail du gouvernement qui essaie de penser à des programmes encourageant les investisseurs étrangers ». En limitant les salaires et les droits syndicaux, peut-être ? La contradiction de classe est claire.
Engels écrivait, à propos de la révolution de 1848 en France : « La démocratie petite-bourgeoise comptait sur une victoire prochaine, une fois pour toutes, du « peuple » sur les « oppresseurs », nous, sur une longue lutte, après l’élimination des « oppresseurs », entre les éléments antagonistes cachés précisément dans ce peuple ». Les insurgés libyens demandent une intervention impérialiste ? Mais il y a des « éléments antagonistes » au sein des insurgés. C’est la bourgeoisie qui domine, mais celle-ci, à sa manière, n’est pas dupe elle-même des buts de « l’aide » militaire, puisqu’elle promet que les premiers contrats pétroliers de l’après-Kadhafi seront pour la France !

Kadhafi représente quelle classe ?

Le blog « servirlepeuple » dénonce à juste titre « toute une extrême-gauche aveuglée par le mirage « socialiste » et « anti-impérialiste » de Kadhafi ».
Socialiste, Kadhafi ? Mais son « pouvoir des masses » est toujours resté à l’extérieur d’une zone interdite, avec deux chasses gardées pour lui, ses proches, son clan : l’armée et le pétrole. C’est-à-dire le pouvoir politique et le pouvoir économique. C’est-à-dire le pouvoir réel.
Anti-impérialiste Kadhafi ? Comme peut l’être toute bourgeoisie d’un petit pays qui ne se contente pas d’être le relais local des impérialistes et de toucher sa part, mais qui veut jouer son propre jeu.

En 2006, Kadhafi a financé les ¾ du premier satellite africain, qui casse le monopole des télécoms européens et l’engrenage de la dette qui va avec. En 2011 devait être créé le Fonds Monétaire Africain destiné à remplacer, comme son nom l’indique, le FMI en Afrique, et sonner la fin du franc CFA.
Vous vous rendez compte : Kadhafi contribuant de manière décisive à casser l’emprise financière de Paris sur tout un tas de pays africains ! (voir par exemple le site du professeur Jean-Paul Pougala : pambazuka.org). Mais le « printemps arabe » est passé par là, et Obama a saisi les 30 milliards de dollars appartenant à la Banque Centrale Libyenne...
En résumé donc, l’anti-impérialisme de Kadhafi est celui d’une petite bourgeoisie – d’une bourgeoisie d’un petit pays – qui se met à concurrencer les grandes sur leur propre terrain, celui de l’exportation des millions de dollars.

Conclusion

Les révolutions ne font que commencer. Les travailleurs n’ont pas besoin qu’on leur disent de lutter, jusqu’à risquer leur vie même. Ce dont ils ont besoin, ce dont nous avons besoin, c’est d’organisations communistes qui aient une bonne analyse de la situation – une analyse marxiste-léniniste, une analyse de classe - ; qui structurent et dirigent partout les comités de travailleurs, alliance des classes populaires et base exécutive du nouvel Etat ; ainsi qu’une armée populaire, pouvant jouer, pour se renforcer, sur les contradictions entre capitalistes et impérialistes. Parti communiste, soviets, et armée rouge ! Sans les jeunes et les travailleurs libyens, on aurait peut-être oublié le principe de l’armée rouge !

M. Crespin

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