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Les saisonniers(ères)

Des travailleurs à part entière

Partisan : Parle-nous des travailleurs saisonniers.

 

Narbonnais : On travaille dans le monde agricole où nous sommes employés pendant les récoltes et les vendanges, aussi dans le tourisme où nous servons à faire face à l’arrivée de clients. Nous sommes barman, serveurs (ses), animateurs (trices) ou nous entretenons les remontées mécaniques des stations de ski. Le tourisme est en France une source de richesse et on parle de 145 milliards d’euros de chiffre d’affaires par an. Ce n’est pas moi qui le dit mais Joël Giraud, député des Hautes- Alpes, que « sans les saisonniers notre pays ne serait pas la destination touristique la plus attractive au monde ». Dans la région PACA, les saisonniers occupent presque un emploi touristique sur 4. Une proportion qui augmente à 1 sur 3 dans la région Midi-Pyrénées. Le droit de travail ? les patrons, la plupart du temps, s’assoient dessus. Les conditions de vie sont très dures, et la précarité c’est le principe même de ce genre de boulot.

 

Partisan : Etes-vous nombreux ?

 

Narbonnais : Bien sûr, plus que l’on croit. 420 000 dans le seul secteur du tourisme, 850 000 occupent chaque année un emploi saisonnier dans l’agriculture. On peut dire que plus de un million de personnes travaillent chaque année comme saisonniers, tous secteurs confondus.

 

Partisan : Y a-t-il beaucoup de jeunes parmi les saisonniers ?

 

Narbonnais : Oui. 65% des saisonniers d’été et 51% des saisonniers d’hiver ont moins de 25 ans. Les jeunes à la recherche d’un premier emploi représentent 60% des travailleurs saisonniers du tourisme.

 

Partisan : Parles nous de la situation des saisonniers dans l’agriculture.

 

Narbonnais : Je sais que 140 000 exploitations font travailler chaque année 1 100 000 salariés (arboriculture, maraîchage, horticulture, polyculture, pépinières, élevage). Parmi ceux-ci quelques 70% occupent un emploi saisonnier à temps complet ou partiel. 60% du travail en maraîchages, horticultures et pour la production de fruits sont réalisés par les saisonniers. La moitié des contrats de l’agriculture sont inférieurs à 20 jours et un tiers dépasse deux mois.
Certes il y a de moins en moins de structures agricoles, mais celles qui subsistent augmentent en surface. Les effectifs stables des grandes exploitations diminuent, tandis que le nombre des saisonniers croît. De 1998 à 2004, ils sont 20% de plus. Sur la même période, la tendance des gros exploitants agricoles à fractionner les contrats saisonniers (par tâches plutôt que pour l’ensemble de la saison) fait croître mécaniquement le nombre de saisonniers.

 

Partisan : Quelle est la place des travailleurs immigrés ?

 

Narbonnais : les saisonniers immigrés constituent un total de 10 000 à 15 000 personnes employées à contrat à durée déterminée de 4 à 6 mois. Ces ouvriers ont l’autorisation de travail en France délivrée par l’Office de l’immigration internationale, mais personnellement j’ai rencontré beaucoup de gars sans papiers qui travaillent dans l’agriculture. Les ouvriers agricoles sont connus pour être « les plus pauvres d’entre les pauvres », surtout lorsque l’on est étranger.

 

Partisan : Le poids et l’importance des travailleurs saisonniers est donc bien différents de ce que les clichés nous donnent d’eux.

 

Narbonnais : Je suis content que tu parles de ça. L’image du saisonnier, c’est celui qui vient s’éclater en station, en camion, les cheveux longs. C’est un cliché accolé aux saisonniers. « En plus ils viennent avec leurs camions, ça pollue visuellement, ils amènent leurs produits, ils débauchent nos bons jeunes … ». Lorsque l’on parle des saisonniers avec les patrons, ils ne parlent que de la multiplication des faits délictueux, de celui qui fait du bruit, qui s’enivre, qui passe son temps en discothèque… » Les saisonniers sont le dénominateurs commun que l’on a trouvé pour les nuisances. Mais je t’ai parlé de l’importance de ce genre de travail dans l’économie du pays et je peux te dire que les saisonniers sont bien loin de ces clichés.

 

Partisan : les contrats saisonniers ont été donc généralisés dans un grand nombre de professions.

 

Narbonnais : oui ; tu as raison.

 

Partisan : quels sont les raisons de cette évolution ?

 

Narbonnais : Les contrats saisonniers sont très juteux pour les patrons : pas de prime de précarité, rarement une clause de reprise pour la saison suivante, ce contrat peut être soumis à des dérogations pour les périodes de référence pour le décompte des heures supplémentaires et des repos compensatoires, à la condition toutefois qu’une convention ou un accord collectif étendu le prévoit. En outre, les possibilités de s’organiser et de revendiquer quoi que ce soit est très difficile. En effet, sans compter le fait que parfois on travaille 18 heures par jour, on est fatigués pour en plus tenter de discuter avec les copains. En fait, les saisonniers hésitent trop souvent à avancer leurs revendications car ils ont peur de voir leur patron les mettre à la porte ou ne pas les embaucher l’année suivante. Il y en a qui ne vont pas hésiter à te mettre dehors s’il y a quelque chose qui ne va pas, parce qu’il y a derrière la porte 50 qui attendent. Je connais un restau où pendant l’été il y a eu 54 employés différents. Comme ça les patrons pensent qu’ils ont affaire à des moutons. Mais peut être me donnes-tu l’occasion de dire que nous ne sommes pas aussi silencieux et dociles qu’on le pense et on arrive de temps en temps à arracher quelque chose.

 

Partisan : Parle-nous des problèmes de logement que vous rencontrez ?

 

Narbonnais : Le problème commence par les difficultés de trouver un logement. De plus en plus, les patrons t’embauchent si tu justifies d’avoir un logement. L’accès au logement pour les saisonniers est souvent difficile à cause des bas revenus et des cautions. Le prix des loyers est souvent trop élevé dans les stations en bord de mer ou en montagne ; imagine 600 euros par semaine pour un studio. Les copains se regroupent en colocation à 4 dans un studio de 20 m2. Pour ceux qui ne trouvent pas, la solution est de monter des tentes sur les plages en été ou vivre et dormir dans les camions en hiver. Sur place, surtout dans les stations de ski, les municipalités sont de plus en plus hostiles au camping des saisonniers. Les gendarmes, sous prétexte de lutter contre la drogue, nous harcèlent souvent.

 

Partisan : Est-ce que les travailleurs saisonniers sont déclarés ou pas ?

 

Narbonnais : Autant que je sache et vu mon expérience personnelle, les travailleurs saisonniers sont souvent déclarés mais parfois ils n’ont pas de contrat de travail en main, c’est pourquoi une partie des heures leur est payée au noir (en général la moitié). Tu peux imaginer ce qu’on perd dans ces conditions pour le chômage, la retraite, etc.…

 

Partisan : Combien gagnez-vous ?

 

Narbonnais : Normalement on est payés à l’heure et on est donc payés systématiquement au SMIC. Mais il y a des copains qui sont payés à la tâche, suivant le travail. Ils sont mieux payés. Il y en a qui sont payés au forfait, quel que soit leur volume horaire journalier. Pour ceux qui sont au forfait, si en début de saison être payé au forfait est arrangeant, il s’avère vite dommageable par la suite car les heures de travail augmentent et toujours pour le même prix, dans la restauration par exemple.

 

Partisan : Alors y a-t-il des heures supplémentaires ?

 

Narbonnais : Les saisonniers font beaucoup d’heures supplémentaires. Je connaissais quelqu’un qui en faisait jusqu’à 60 heures par semaine. J’ai entendu l’histoire d’un cuisinier embauché dans un camping qui a travaillé 200 heures pour le seul mois de juillet. Les patrons ne payent pas toujours les heures supplémentaires en tant que telles. Ils prolongent parfois un contrat dont la durée se voit augmentée en fonction du nombre d’heurs supplémentaires effectuées dans la saison. Comme ça les employeurs payent les heures supplémentaires au taux des heurs normales. Il y a aussi les saisonniers dont les heures supplémentaires ne sont pas du tout payées.

 

Partisan : Parle-nous un peu des risques dans le travail ?

 

Narbonnais : Les accidents de travail existent partout notamment dans l’agriculture. Les saisonniers ont le sentiment d’être particulièrement exposés aux risques. On voit parfois des personnes habillées comme des cosmonautes qui appliquent des fongicides et des pesticides dans les champs à coté de ceux où ils travaillent. Alors qu’il y a un arrêté de 2006 qui fixe un délai de réentrée dans les champs après l’application des produits (soit 6 heures minimum pour les produits les moins nocifs, 24 heures pour les produits irritant pour les yeux ou pour la peau, 48 heures si ces produits provoquent une sensibilisation par inhalation ou contacts avec la peau).

 

Partisan : Les saisonniers ont donc des problèmes de santé ?

 

Narbonnais : Evidement. Rares sont les visites médicales d’embauche. Les saisonniers sont souvent très fatigués par les conditions de travail, de vie. Ils naviguent entre fatigue, stress et souvent manque de sommeil. Ils hésitent à consulter un médecin à cause du coût de la consultation et par manque de temps. Les horaires d’accueil sont inadaptés, et maintenant beaucoup de dépassements d’honoraires. La CMU n’est pas toujours acceptée quand on est hors département.

 

Partisan : La santé passe aussi par une bonne alimentation ?

 

Narbonnais : Les saisonniers qui n’ont pas de famille sur place ont une mauvaise alimentation. Ils sont généralement trop fatigués pour aller faire les courses, en plus ils n’ont pas les moyens nécessaires pour faire la cuisine et les produits sont chers en station. Un repas par jour, pas très équilibré. Les saisonniers dans la restauration mangent mieux car ils peuvent manger sur place. Mais là aussi les repas sont pris très rapidement et sans grand souci d’équilibre.

 

Partisan : Et du coté cœur ?

 

Narbonnais : Pour la vie affective ou de famille, les saisonniers sont souvent en difficulté. Il y en a qui travaillent en couple. Continuer une relation amoureuse durant la saison est difficile car il n’y a pas beaucoup de temps libre, beaucoup de fatigue et les hébergements sont inadaptés. Il y a aussi beaucoup de risques sexuels pour les saisonnières, surtout en hiver dans les stations de ski.

 

Partisan : Il y a donc aussi des problèmes psychologiques ?

 

Narbonnais : Il y a des dépressifs, des anorexiques, souvent les jeunes sont en rupture familiale. La saison, c’est quelque chose de difficile. Si on n’est pas bien au départ, on va vite au casse-pipe. Certains utilisent des produits comme l’alcool, le cannabis, pour tenir le rythme de la saison ou la recherche d’un retour au calme.

 

Partisan : Que pouvez-vous faire pour améliorer la situation ?

 

Narbonnais : A court terme et moyen terme, il faut lutter pour les revendications qui ont été listées par le syndicat CGT. Parmi elles nous trouvons : une prise en charge du logement et des frais du transport des saisonniers, la limitation des contrats saisonniers aux travaux courts nécessitant un surcroît d’activité. Le contrat à temps plein et en CDI doit être la norme. Les avantages patronaux liés aux contrats saisonniers, exonérations de charges, non paiement de la prime de précarité, doivent être supprimés. Le droit à une carrière (la formation professionnelle, les salaires décents, la reconnaissance des qualifications, des pluri-compétences et de l’ancienneté). Le droit à une protection sociale de qualité. Avoir accès à une médecine du travail par site. Suppression des conditions d’ancienneté dans les conventions collectives qui exclut de fait les travailleurs saisonniers dans certains avantages conventionnels (complémentaires santé et prévoyance, indemnité d’intempéries…). Le droit à l’organisation des saisonniers (délégués de site, CHSCT de site , comité inter-entreprises, etc, mise à disposition de moyens en locaux et en matériel pour l’activité syndicale)…

 

Partisan : Tu nous as dit que vous arrachiez parfois des avancées au patron ou au système ?

 

Narbonnais : Les saisonniers étaient discriminés en ce qui concerne les droits aux indemnités chômage depuis 1997 (conditions de travail sur 3 ans pour ouvrir des droits et application d’un coefficient réducteur). Grâce à notre mobilisation, à compter du 1er juin 2011, les saisonniers ont les mêmes droits que tous les autres travailleurs (en matière d’indemnités de chômage). Tout ça est très fragile et il faut continuer à se mobiliser.

 

Partisan : Notre échange arrive à sa fin, veux-tu rajouter quelque chose ?

 

Narbonnais : Oui. Tout d’abord je te remercie et je remercie le journal Partisan qui me donne l’occasion de parler sur la situation des travailleurs et travailleuses saisonniers-ères. A la fin, si tu me permets, je voudrais chanter quelques paroles de la Marseillaise des vignerons qui ont été chantées durant la révolte des vignerons au printemps 1907 dans la région narbonnaise.

 

La misère enfin est très dure,
Il faut agir et sans retard,
Argelliers nous donne l’exemple,
Suivons ce groupe de vaillants,
Agissons car il en est temps,
Des fraudeurs démolissent le temple,
Aujourd’hui c’est plus des paroles,
Ce sont des actes qu’il nous faut,
Pour affirmer nos droits de vivre,
Fils du Midi, assemblons-nous ;
Les fraudeurs à la mort nous livrent,
Qu’ils redoutent notre courroux !
Entendez-vous dans nos campagnes,
Retentir nos cris et nos pleurs ?
C’est trop, trop de malheurs !
Luttons ! luttons !
Et sans faiblir, ensemble nous vaincrons !

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