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1965 : Le massacre des communistes indonésiens

Le Parti Communiste d’indonésie (PKI) comptait 3,5 millions de membres et une quinzaine de millions de sympathisants. Il était par la taille le 3ème parti communiste au monde. En 1965, la répression, couverte par l’occident et en particulier par les USA, fit entre 500 000 et 2 millions de morts. Mais comment en est-on arrivé là ?

L’Indonésie est une ancienne colonie néerlandaise. 87 % de la population est musulmane. Pendant la 2ème guerre mondiale, le Japon occupe l’Indonésie. Les Japonais sont d’abord accueillis comme des libérateurs car ils promettent l’indépendance. Rapidement, ils remplacent les colons hollandais et sont rejetés. L’indépendance est déclarée par Sukarno en 1945. Mais la guerre d’indépendance continuera jusqu’au 27 décembre 1949. Comme après beaucoup de guerres, l’économie est en ruine. Sukarno renforce son pouvoir intérieur. Il cherche la confrontation avec la Malaisie. Critiqué par l’occident, il se rapproche de plus en plus de l’URSS et de la Chine. Le PKI qui a, deux fois déjà, été anéanti par la répression (en 1926 et en 1948), se présente en 1955 aux élections et obtient 16 % des voix. Il a trois ministres dans un gouvernement qui en compte quatre-vingt .

Liens PKI- gouvernement

Vers la fin des années 1950, le PKI commence peu à peu à se rapprocher du président Sukarno. Il faut dire qu’en 1955, Sukarno a organisé la conférence de Bandung (en Indonésie), qui a réuni pour la première fois les représentants de 29 pays africains et asiatiques. C’est la première entrée en scène des pays du Tiers-Monde. Sukarno est un dictateur nationaliste, mais pas un communiste, bien que très influencé par la Chine communiste. En 1957, il veut un système de parti unique, une « démocratie dirigée ». Le PKI devient à la fois de moins en moins critique face au gouvernement et de plus en plus puissant. Il a de nombreux syndicats, des groupes de femmes, des petits paysans qui le soutiennent. Tout laisse penser que le pays sera rapidement communiste. Les réactionnaires et les impérialistes US prennent peur.
Le secrétaire du parti, Aidit, surestime les forces du PKI, et sous-estime les forces de ses ennemis. « Une erreur aussi grave a pu se produire parce que la direction du Parti ne considérait pas la République indonésienne comme un État bourgeois » (autocritique du PKI) [1].

Pourquoi la rupture ?

Nous sommes à l’époque dans la guerre froide. Les USA, déjà empêtrés au Viet-Nam, ont peur qu’un second front s’ouvre en Indonésie. Le PKI est haï par les autres mouvements politiques, notamment le mouvement islamiste. La CIA établit des listes de noms de communistes, des “infidèles” à l’islam, des “sans dieu” réfractaires à l’un des cinq principes du Pancasila (constitution) édicté en 1945. Ils manque un détonateur pour éliminer le PKI. Il est trouvé le 1er octobre 1965. Six généraux appartenant à l’aile droite du haut commandement militaire ont été assassinés à Djakarta. Le général anti-communiste Suharto, commandant de l’armée, en attribua faussement la responsabilité à des militaires proches du PKI. Il fait pression sur Sukarno et « obtient » la mission de maintenir l’ordre à Djakarta.

Le massacre

Le général lance les répressions anticommunistes. Les listes de la CIA vont servir : arrestations de masse et exécutions sommaires concernent, dans les deux années 1965 et 1966, plusieurs millions de personnes. Les évaluations précises sont difficiles à établir puisque le tout s’accomplit en dehors du système judiciaire, sous le contrôle de l’armée, qui arme des milices, celles de la Ligue Musulmane en particulier. Dans d’autres régions ce sont des chrétiens qui s’en prennent aux communistes. Des villages sont brulés, les hommes torturés, abattus, les femmes et les fillettes violées et tuées. 1 ou 2 millions de personnes sont exécutées, et de 5 à 7 millions incarcérées, pour des périodes rarement inférieures à 10 ans et pour certaines pour toute la longue durée du pouvoir suhartiste, jusqu’au printemps 1999. Un décret en septembre 1966 « bannissant le communisme » est voté par l’Assemblée Nationale à la botte de Suharto.

La contre révolution est heureuse

Noam Chomsky, faisant une compilation de la presse américaine de l’époque, en ressort ce texte : « L’événement suscita pourtant une orgie d’euphorie. Pour décrire le "stupéfiant massacre de masse", le New York Times parla d’une "coulée de lumière en Asie" et félicita Washington d’être resté discret pour ne pas embarrasser les "modérés indonésiens" qui purifiaient leur société et s’apprêtaient à recevoir une généreuse aide américaine ; c’est "la meilleure nouvelle depuis des années pour l’Occident en Asie".

L’autocritique du PKI

« Le PKI participa aux premières élections parlementaires générales (en 1955) avec un programme pour l’établissement d’un gouvernement de coalition nationale, un gouvernement de front uni de tous les éléments démocratiques, y compris les communistes. Avec un tel programme, le PKI commettait la même erreur que les démocrates petits-bourgeois et les opportunistes qui, comme le dit Lénine, "distillent dans l’esprit du peuple la notion fausse que le suffrage universel “dans un État moderne” est réellement capable d’imposer la volonté de la majorité des travailleurs et d’en garantir la réalisation" (Lénine, L’État et la Révolution). »

Le PKI soutenait Pékin, mais appliquait la politique de coexistence pacifique

A cette époque, dans le mouvement communiste, faisait rage la controverse entre la Chine et l’URSS. Le Parti Communiste Chinois (PCC) était isolé. Il n’avait pour alliés que le Parti du Travail d’Albanie et quelques partis en Asie, dont le PKI. Le PCC était conciliant et diplomatique dans ses alliances avec le PKI. Il ne le critiqua pas publiquement, quand les principes de la révolution prolétarienne et bourgeoise se trouvèrent mêlés, ni quand se trouvèrent appliqués les concepts d’une politique de coexistence pacifique face à la bourgeoisie. De fait, le PKI suivait une théorie révisionniste, où la révolution ne serait plus nécessaire, car il suffirait de conquérir une solide majorité parlementaire et de s’en servir pour effectuer un passage pacifique au socialisme.

De 1965 à maintenant

Dès la victoire de la contre-révolution, l’Indonésie retrouva les faveurs des impérialistes, de la Banque mondiale, du FMI. Les gouvernements et les sociétés occidentales se précipitèrent dans ce nouveau "paradis des investisseurs". Le gouvernement indonésien criminel fut considéré comme un modèle, alors que ses pratiques de meurtres de terreur et de corruption se généralisaient.
Les sympathisantEs ou ex-membres du PKI furent excluEs de la vie sociale et politique, ainsi que leurs descendants. Ces méthodes criminelles purent servir ailleurs, comme contre la population du Timor-Oriental, annexé en décembre 1975. Environ 200.000 personnes y sont mortes, soit au moins un quart de la population.

Conclusions

Un parti communiste ne doit pas se faire d’illusions sur la démocratie bourgeoise. La direction du parti doit appliquer des règles de sécurité qui la rende difficilement repérable. Les moyens de communication doivent être sécurisés. Les organisations de masse doivent avoir des moyens d’auto-défense contre les attaques réactionnaires. Lors des massacres, à chaque fois que les communistes ont pu s’organiser, les forces contre-révolutionnaires ont reculé. La guerre de guérilla doit être préparée, les possibilités de repli afin de préparer l’avenir. Les communistes ne peuvent compter que sur leurs liens aux masses, mais cela implique de les former dans la résistance à la bourgeoisie. Les erreurs, les communistes les paient au centuple, mais leurs idées ne meurent jamais.

 

Un film où les tueurs mettent en scène leurs crimes
Dans The Act of Killing de Oppenheimer, le tueur Anwar Congo rejoue les massacres des communistes qu’il a lui-même dirigés en 1965 et 1966 sur l’île de Sumatra. Ce film a bouleversé les spectateurs du Festival du cinéma de Toronto. (...) Six mois avant l’interdiction officielle du parti communiste indonésien (PKI) en 1965, des centaines de milliers d’Indonésiens avaient déjà été assassinés, accusés d’être des sympathisants du PKI. En moins d’un an, le nombre de victimes approchait le million.(...) The Act of Killing [L’acte de tuer] lève le voile sur les témoignages francs et détaillés d’un certain nombre de mafieux qui ont dirigé le massacre de plus de 10 000 personnes prétendument communistes à Sumatera Utara [province au nord de Sumatra]. Ces tueurs témoignent librement, en racontant des histoires, en mimant des scènes, en riant, chantant et dansant.(...) Durant le tournage d’un précédent film, The Globalisation Tapes, Oppenheimer apprend une chose étonnante : ces ouvriers (qu’il côtoie pour son film) vivent aux côtés des hommes qui ont assassiné de nombreux travailleurs du Parti communiste indonésien en 1965 et 1966. “Leurs voisins étaient des bouchers qui avaient tué leur père, leur oncle”. Un jour, le réalisateur trouve l’occasion de discuter avec un de ces tueurs qui lui raconte, dans les moindres détails, comment il a liquidé un membre du syndicat ouvrier affilié au Parti communiste. “Imaginez un peu, il a raconté cet acte effroyable devant sa petite-fille âgée de neuf ans”, explique Oppenheimer sidéré par le franc-parler de ce tueur. Durant son enquête, le réalisateur découvre que les membres des bataillons de tueurs de Medan en 1965 étaient recrutés pour la plupart parmi les mafieux des cinémas, tout simplement parce qu’ils haïssaient les communistes, qui appelaient au boycott des films américains très en vogue à l’époque à Medan.
Courrier International (extraits)

 

Autocritique du PKI, septembre 1966 – 28 pages.
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