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Egypte : entre l’Armée et les Frères Musulmans, derrière la barbe, la bourgeoisie

Parétisan N°260 - novembre 2012

Depuis la chute de Moubarak en février 2011, on a le sentiment que l’ancien régime revient. L’armée s’est livrée à beaucoup de manœuvres et à une répression continue de nombre de mouvements de contestation – avec arrestations arbitraires, jugements de civils devant des tribunaux militaires, torture, etc. En juin 2012, le Conseil supérieur des forces armées (CSFA) a accepté la victoire de Mohammed Morsi, le candidat des Frères musulmans (alors qu’il avait soutenu Ahmed Chafik), mais avec quelle marge de manœuvre ?
Lors des manifestations qui ont précédé la chute de Moubarak, les Frères Musulmans interdisaient à leurs militants d’y participer. Ils ont suggéré à la police et à l’armée, par la suite, l’arrestation des dirigeants de leur branche « jeunes » qui avaient désobéi…
19/03/2011 : Référendum sur une nouvelle constitution (préparée à la hâte par l’armée), boycotté par l’opposition, sauf les Frères Musulmans.
Le 12 août, mise à l’écart du maréchal Tantaoui, chef du CSFA. L’armée sera moins présente sur le terrain politique, elle sera en seconde ligne, mais reste très puissante économiquement.
Fin 2011, l’armée a prêté 1 milliard de dollars au ministère des finances, pour pouvoir gérer les affaires courantes. Les entreprises de l’armée produisent environ 15% du PIB. Tous les gouverneurs (préfets) ou presque sont des officiers « à la retraite », ainsi que les dirigeants des entreprises du secteur public (agriculture, tourisme, aménagement du territoire, import-export…). L’armée produit les produits subventionnés (pain), de l’équipement électroménager, de l’aluminium, des voitures, etc.
La victoire des Frères musulmans soulève des craintes et des inquiétudes. C’est la deuxième force organisée après l’armée, et riche, mais son projet de libéralisme économique est le même que celui de l’ancien pouvoir. Sa politique étrangère est dépendante des Etats-Unis et des pays du Golfe. Sa politique sur la question palestinienne est la même également, car la défense d’intérêts économiques subordonnés à des ententes avec Israël est prioritaire.

L’Islam est-t-il "la solution" ?

Comment les Frères Musulmans vont-ils traduire leur slogan phare « L’islam est la solution » ou « l’Islam est notre constitution » dans le domaine économique ou social ? Les mêmes (les Frères musulmans et les salafistes) qui expliquaient qu’un accord avec le FMI était incompatible avec l’islam, expliquent le contraire aujourd’hui. Ceux qui dénonçaient l’accord avec Israël l’entérinent. Les Frères musulmans se sont substitués au Parti national démocratique de l’ancien président…On peut ainsi mesurer leur total opportunisme !
Depuis des décennies, les Frères musulmans proposent une offre politique et idéologique complète : retour aux valeurs de l’Islam avec application de la charia, libéralisme économique mais conservatisme social et politique, répression contre les mécréants, les « déviants »...

Positions de classe :

Les frères Musulmans représentent des commerçants aisés, des financiers, des entrepreneurs (batiment, imprimerie, industrie de transformation…), des couches moyennes n’ayant pas de problèmes matériels, mais qui aspirent au calme et la tranquillité (conservatisme). Par contre, leur base sociale est formée de pauvres qui, faute de pouvoir vivre (ou survivre), voudraient une vie meilleure, sinon aller au paradis, après une vie de misère …
On vérifie ici le décalage entre les intérêts de la classe défendue (la bourgeoisie) et la base sociale populaire : la religion comme opium et espoir des déshérités.

Quelle perspective ?

« Dégage, Moubarak ! », mais après ? Quelle alternative ? De quelle nature politique ou idéologique était la révolution ? Et était-ce vraiment une révolution, ou plutôt un énième mouvement de révolte éphémère ?
Le peuple égyptien s’est révolté contre l’autoritarisme, contre la corruption et la pauvreté ; pour le travail, la dignité et la justice sociale… Aujourd’hui, les couches les plus défavorisées, les ouvriers, les employés, les jeunes, etc, réclament des transformations économiques et sociales. Où en est le changement ? Des luttes continuent pour le développement économique, l’emploi, la justice sociale et pour l’instauration des politiques plus favorables aux couches les plus pauvres.…
L’avènement des « Frères Musulmans » doit inciter plus que jamais la gauche à se reconstruire, sur le plan idéologique, politique et revoir ses pratiques de terrain, avoir une stratégie claire de prise de pouvoir avec un programme clairement partisan, privilégiant les salariés, les pauvres, les couches populaires… Un front de gauche vient de se constituer, mais ce n’est qu’un début.
Pactiser avec la droite pour faire barrage aux islamistes (cas de la Tunisie) est contre-productif et même suicidaire. Les forces révolutionnaires arabes devraient créer un rapport de force regroupant les couches défavorisées et les franges les plus progressistes de la société (syndicalistes de gauche, jeunes, femmes) autour d’un projet de transformation sociale basé sur la redistribution des richesses, la valorisation du travail par rapport à la spéculation et l’économie rentière…

 

Hussein Al-Ahouazi

Avec Israel :
En décembre 2004, pour accélérer la domination israélienne sur l’économie de la région, les États-Unis décidaient la création de zones franches dites « Qualifying Industrial Zones » (QIZ), en Égypte et en Jordanie. Un article fabriqué dans ces zones doit contenir au moins 11,7% de composants en provenance d’Israël pour bénéficier d’une exonération douanière aux États-Unis. Ce partenariat économique favorise les secteurs polluants, à faible valeur ajoutée et à forte main d’œuvre (habillement, agro-alimentaire, chimie…). Dans les huit zones QIZ existantes aujourd’hui en Egypte, 50 entreprises égyptiennes sont présentes. Elles s’approvisionnent en matières premières venues d’Israël pour plusieurs millions de dollars par an et exportent vers les États-Unis pour près de deux milliards de dollars.

Quelques repères :
2005 : Revendications démocratiques, pour les libertés politiques, d’expression, d’organisation…
Fin 2006 : Grand mouvement de grèves dans les villes industrielles les plus importantes : Helouan, Al Mahalla Al Koubra, Suez…
2006/2007 : Mouvement de protestation des journalistes, des juges, des salariés du service public.
2007/2010 : Mouvement des ouvriers de l’industrie, du transport (ferroviaire et terrestre), de la fonction publique… Certaines catégories ont obtenu le droit de fonder des syndicats autonomes.
25/01/2011 : Début des manifestations pour la destitution de Housni Moubarak. L’armée a joué le jeu, jusqu’au jour où les ouvriers des zones industrielles commencent à bloquer la production (textile, métallurgie, ciment...) et à occuper les usines jour et nuit. Ils revendiquent un salaire minimum de 1200 livres égyptiennes (1 $ = 7 livres). L’armée a réprimé les ouvriers et a déclaré « ne pas tolérer l’arrêt de la production, ou le blocage des routes ou des ports ».

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